C'est dans les slums qu'apparut vraiment toute l'horreur du désastre. Avec le recul des eaux, la Cité de la joie n'était plus qu'un infect marécage. Une boue visqueuse, puante mêlée de charognes de chiens, de chèvres, de rats, de lézards et même de débris humains, recouvrait tout. Des millions de mouches jaillirent bientôt de cette putréfaction et se jetèrent sur les rescapés. Des épidémies se déclarèrent dans différents secteurs. Pour tenter de les enrayer, Bandona et Aristote firent déverser des tonnes de désinfectants fournis par la municipalité. Cette opération fit hélas des ravages chez les volontaires. Max dut s'en charcuter plusieurs dont les pieds et les mains avaient été brûlés jusqu'à l'os par les produits corrosifs.
La première toilette de Paul Lambert dans le bidonville commença par une nouvelle infraction aux sacro-saintes traditions. Comme il l'avait vu faire aux hommes sur le chemin de la fontaine, il s'était deshabillé, ne gardant sur lui que son caleçon. Il était sorti dans la ruelle devant sa chambre avec son seau d'eau. Il s'était accroupi sur les talons avec cette position typiquement indienne si difficile à maintenir pour un Occidental. Il avait vidé de l'eau sur ses pieds et était en train de se frotter vigoureusement les orteils quand le vieil hidou de la tea-shop d'en face l'interpella, horrifié.
Father, ce n'est pas comme ça que tu dois faire ta toilette! C'est la tête qu'il faut laver en premier. Les pieds, c'est à la fin, quand tu as nettoyé tout le reste.
Comment compter le temps dans cet univers sans passé ni futur ? Dans ce monde où la vie de tant d'hommes tient dans la seconde de survie présente.
Quelle récompense que cette certitude absolue d'être enfin arrivé là où je devais venir.
On est au-dela de l'horreur, au coeur de la vérité.
François Nourrissier.
Depuis qu'il était lui-même plongé dans la misère du tiers monde, Max avait révisé bon nombre de ses idées de riche sur la manière de résoudre les problèmes des pauvres.
Ici, le cerf-volant était plus qu'un jeu. C'était le reflet d'une civilisation, le bonheur de se laisser porter, guider, dominer par les forces de la nature. C'était un art, une religion, une philosophie. Les lambeaux des centaines de cerfs-volants qui pendaient aux fils électriques du slum étaient les oriflammes du peuple de la Cité de la joie.
Pourtant, au plus profond de l'horreur, survenait toujours un miracle. Celui que découvrit Paul Lambert depuis son gourbi en ce dimanche de Pentecôte, "avait le visage d'une petite fille vêtue d'une robe blanche, une fleur rouge dans les cheveux, qui marchait comme une reine au milieu de toute cette merde"
Un pays capable de tant de partage est un exemple pour le monde.
C'est à ras de terre que sont vraiment efficaces et appréciés comme tels les gestes de solidarité. Un simple sourire peut avoir autant de valeur que tous les dollars du monde.