Prendre le stylo. Ecrire. Empathie, amour. Au milieu des mots qui se pressent, ces deux-là rayonnent. Ces deux-là sont les plus dignes qu'on trouve quand on se lance dans la tâche de décrire ce livre.
Humanité profonde d'un récit, émouvant tout autant qu'éprouvant où l'on balance entre espoir et désespoir. Ou, plus précisément, gouffre de désespoir dans lequel l'espoir est magnifié tant il est la dernière vibration de vie.
Fruit d'une enquête en immersion de plusieurs mois, cette description de la vie quotidienne des habitants d'un bidonville de Calcutta, représente d'abord, surtout à nos yeux occidentaux, la part sombre du monde, la quintessence du désespoir, la misère, les maladies, les existences exploitées, la mort omniprésente.
Et pourtant. Derrière ce désespoir est le miracle de l'espoir, cette Cité de la joie où « la vie paraissait toujours plus forte que la mort », les leçons de sourire et, face à la misère, l'arme décisive de la « solidarité à ras de terre ».
Les mots de
Dominique Lapierre ne rendent pas à tous ces hommes et à toutes ces femmes leur dignité. Non, ces mots sont plutôt leur dignité révélée à nos yeux. On pourrait même dire qu'il tente juste, par ces mots, de leur rendre, même infiniment, tout ce que eux lui ont donné.
Livre du dépouillement. Livre dont l'émotion nous vide tout en nous remplissant. Devant ces êtres démunis mais jamais désunis.
Des personnages d'une humilité immense et d'une grandeur époustouflante avec ce cadeau merveilleux, dans leur immensité, de nous rester proches.
On sait trop bien qu'on n'aura jamais le 10ème du courage d'Hasari, le tireur de rickshaw décharné et la dévotion absolue aux autres de Paul Lambert, le prêtre qui a décidé de consacrer sa vie aux plus démunis.
Pourtant, au sortir de la lecture, devant une affirmation si forte, si essentielle, si évidente, du lien de la fraternité humaine, on ose quand même se reconnaître leur frère. On n'est pas si loin de se croire capable, ne serait-ce qu'un instant, même infiniment, d'un peu plus d'attention à l'autre et de sentir ainsi la vie couler en nous.
Tout ça c'est une longue chaîne depuis la nuit des temps. Des êtres de chair et de sang. Des frères et des soeurs que l'on rejoint en ce récit, qui sont là, dans toute la force de leur existence souffrante. Aussi terrible et misérable que cette existence puisse apparaître au 1er regard,
Dominique Lapierre nous dit sa force infinie, sa beauté. Pour, incidemment, peut-être, nous ramener à la nôtre.
Ce soir, mon coeur est un peu plus grand. Ce soir, je veux écouter et goûter chacun des bruits de mes filles qui s'apprêtent à s'endormir. Hasari a marié sa fille Amarita, il a souri, gonflé de fierté, devant sa beauté, il a souri devant cette apothéose de sa propre vie, revanche sans prix sur les années de misère. Puis il est mort en quelques heures. le coeur et le corps ont lâché. Laissant mon coeur à moi un peu plus grand, donc. Pas aussi grand que le coeur de « Grand frère Paul », bien sûr. Mais un peu plus grand qu'avant quand même.
J'ai fermé le livre. Il restera à côté de moi cette nuit. Je ne veux pas en ouvrir un autre tout de suite.