Tout roman est un traité de magie noire.
Cinq cent mille refusés par an, toutes maisons d'édition confondues. Que deviendront toutes ces histoires ? Tous ces personnages ? Jamais portés à la connaissance du public, le néant les attend.
Que cela leur coûte trois mois ou cinq années de leur vie, ils veulent voir et tenir entre leurs mains ce rectangle épais de papier blanc, relié en spirale, avec sur la couverture un titre, leur nom en Times new roman corps 25 et aussi ce petit mot, «Roman». Leur manuscrit.
Cinq cent mille refusés par an, toutes maisons d'édition confondues. Que deviendront toutes ces histoires ? Tous ces personnages ? Jamais portés à la connaissance du public, le néant les attend.
Et ce sont autant de maisons d'édition auxquelles vous enverrez vos entrailles, votre enfant, la joie de vos nuits, le tourment de vos petits matins. Votre oeuvre.
Murielle était par ailleurs correctrice de métier et la chasse aux fautes d'orthographe ou de frappe lui procurait une joie comparable à celle de la cueillette des champignons en septembre. Elle les traquait avec un plaisir qui confinait à l'orgasme et, lorsqu'elle tombait sur un participe passé mal accordé ou encore un "ils avait", elle en frémissait de bonheur.
Tout roman est un traité de magie noire.
Je m’appelle Marie Cassart et j’étais la compagne de Fabienne Lepage. Elle était l’amour de ma vie. Nous nous sommes rencontrées au lycée, nous savions que nous aimions les filles et nous ne nous sommes jamais quittées. Fabienne a mis fin à ses jours il y a un an. Ses parents étaient décédés dans un accident de voiture quelques mois plus tôt. Fabienne avait découvert qu’ils étaient en fait ses grands-parents, qu’ils avaient eu une fille avant elle : Hélène Lepage. Ils n’en avaient jamais parlé.
Tu leur fais croire qu’ils peuvent devenir écrivains, tu les entretiens dans leurs illusions. S’ils sont doués, ils n’ont pas besoin de toi pour y arriver, il n’y pas de génie inconnu, ça n’existe pas. Tu fabriques des malheureux qui ne se remettront jamais de ne pas y être arrivés parce que tu leur a laissé espérer qu’ils en étaient capables. Tu fabriques des aigris, François. Tu es nuisible. Laisse-les tranquilles, tous ces gens, et écris tes livres. Laisse-les bosser et m’envoyer leurs chefs-d’œuvre au service des manuscrits. C’est moi la douane, François, pas toi.
Inviter l’auteur à déjeuner est l’un des rituels incontournables du monde de l’édition. Un auteur sera invité quatre ou cinq fois l’an. Comme il y a souvent beaucoup d’auteurs dans une même maison, il y a beaucoup de déjeuners. Les éditeurs nourrissent leurs auteurs à la manière de gros chats misanthropes dont ils souhaitent s’attirer les bonnes grâces et les ronronnements. Le but d’un déjeuner littéraire est de maintenir le lien amical avec l’auteur. Mais aussi – et surtout – de savoir s’il travaille, s’il a progressé dans ce manuscrit pour lequel une avance a été versée par virement bancaire. Entre ceux qui écrivent trop et ceux qui n’écrivent pas assez, entre les vaches à encre qui voudraient qu’on les publie deux fois l’an et ceux qui n’écrivent qu’une ligne les bons week-ends, il faut doser les contrats et les avances – et les déjeuners. Certains auteurs envoient régulièrement leurs pages à leur éditeur et veulent un retour de lecture avant de poursuivre, d’autres disparaissent de longs mois sans donner de nouvelles, de temps en temps on s’inquiète.