Les hommes mûrissent les femmes vieillissent.
C'est cela que l'on cherche (...), le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir.
JE te parle du désir, de la lenteur impatiente du désir. L'acte lui-même, c'est différent, on est déjà ans le retour au monde, dans la maîtrise, dans le savoir-faire, c'est la même chose pour un livre, ce qu'on publie, ce qu'on rend public, c'est ce qui demeure du grand chaos qu'a été le désir du livre, le projet du livre, le rêve du livre. Un livre ne tient pas toutes les promesses du désir, il en est l'un des aboutissements.
Ce n'est pas le tout d'être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient pas: la devise est connue.
L'amour, c'est rester alors qu'on pourrait s'en aller.
Nous sommes tous, dans les fictions continues de nos vies, dans nos mensonges, dans nos accomodements avec la réalité, dans notre désir de possession, de domination, de maîtrise de l'autre, nous sommes tous des romanciers en puissance. Nous inventons tous notre vie.
Internet est à la fois le naufrage et le radeau : on se noie dans la traque, dans l'attente, on ne peut pas faire son deuil d'une histoire pourtant morte, et en même temps on surnage dans le virtuel, on s'accroche aux présences factices qui hantent la Toile, au lieu de se déliter on se relie.
Accepter de ne pas pouvoir, ce doit être ça, le bonheur.
Le désir nous fait éprouver le vide, c'est vrai, le puissant chaos qui nous environne et nous constitue, mais ce vide, on l'éprouve comme le funambule sur son fil, on le tâte comme l'équilibriste quand il y balance sa jambe, on est à deux doigts du désastre et de la chute, de l'angoisse mortelle, et pourtant, on est là, tout vibrant d'une présence agrandie, décuplée, immense, on se déploie dans le chaos, retenu par le seul fil de ce qui nous lie à l'autre, notre compagnon de vide, notre funambule jumeau.
La seule façon de se sortir d'une histoire personnelle, c'est de l'écrire.
Marguerite Duras