Toutes mes recherches physiognomoniques seront inutiles, et j'aurai perdu ma peine, si je ne parviens point à détruire un préjugé absurde, indigne de
notre siècle, et non moins contraire à la saine philosophie qu'à l'expérience, ce préjugé, que la nature rassemble de différents côtés les parties d'un même visage. Mais aussi je me croirai bien récompensé de mon travail, si je réussis à prouver une fois pour toutes l'homogénéité, l'harmonie, l'uniformité de l'organisation de notre structure; si je réussis à démontrer cette vérité avec une évidence à laquelle il ne sera plus permis de se refuser.
Tout ce qui tient à l'homme dérive d'une même source. Tout est homogène en lui: la forme, la stature, la couleur, les cheveux, la peau, les veines, les nerfs, les os, la voix, la démarche, les manières, le style, les passions, l'amour et la haine. Il est toujours un, toujours le même. Il a sa sphère d'activité dans laquelle se meuvent ses facultés et ses sensations. Il peut agir librement dans cette sphère, mais il ne saurait en franchir les limites.
Tout devient ovale si la tête est ovale; si elle est ronde, tout s'arrondit; tout est carré si elle est carrée: il n'y a qu'une forme commune, un esprit commun, une racine commune.
Je ne sais ce qui est plus téméraire, de nier qu'il y ait une expression dans les traits du visage, ou de vouloir prouver cette vérité à ceux qui la nient. Et cependant j'ai écrit sur la science des physionomies; mais ce n'est point pour ceux qui la rejettent: non, c'est au sage, c'est à l'ami de la vérité que je consacre mes Essais.
Préparé à tout ce qu'on peut attendre du préjugé et des passions, je soutiendrai leurs attaques avec calme et fermeté, convaincu que j'aime et cherche la vérité, et que, j'ose ajouter, je l'ai souvent trouvée. Pour en convenir avec moi, et pour me lire, il faut aussi aimer et rechercher la vérité.