Un album que j'ai ouvert, parcouru et refermé, comme d'autres... Mais très vite ré-ouvert et relu. Puis reposé. Puis ré-ouvert encore, et encore… Car j'avais bien du mal à quitter l'ingénieur des phares - dit l'Ingénieur, Nonna le marin, et la belle Perdrix. Mais surtout, j'avais du mal à lâcher cette histoire de phare…
Nous sommes en avril 1911. On décide de la construction du phare de
Pierre-Chauve. Un ingénieur parisien traverse la France en train puis en carriole pour se rendre aux confins de la Bretagne où il est attendu.
Bon nombre de projets de construction de phares ont déjà été décidés et réalisés sous la Deuxième République, puis lors des premières décennies de la Troisième République. Ainsi des entreprises folles ont vus le jour : le phare de Tévennec (1869-1875), le phare d'
Ar-Men (1867-1881), celui de la Vieille (1882-1887), la tourelle de la Plate (1887-1896) et le phare de la Jument (1904-1911)… Chaque fois, les hommes se sont battus contre les éléments pour édifier, non pas des forteresses contre d'autres hommes, mais des tours défiant la fureur des flots et des courants parmi les plus puissants qu'ils soient pour préserver la vie d'autres hommes...
« Trois éclats blanc » est une fiction ; le phare de
Pierre-Chauve n'existe pas. Et pourtant…
Il a été construit tardivement entre 1911 et 1914, et ceci rapidement au regard des difficultés rencontrées sur le chantier. Car trois années est un temps très court alors qu'il aura fallu entre 5 et 10 ans pour construire des phares de conception identique ailleurs… Sa roche, un platier dissimulé sous les flots n'est visible que 20 jours par an. Les courants sont forts, la météo difficile, les circonstances politiques et financières fort délicates… Et pourtant on y croit. Avec les progrès de la chimie, de nouveaux ciments apparaissent et permettent de lier entre-elles les pierres bien plus durablement qu'avec les vieux mortiers. L'avènement des vapeurs permet aussi d'utiliser toute la puissance disponible des chaudières pour la manoeuvre des éléments de construction grâce aux mâts de charge et aux treuils.
Cet album est remarquablement construit et permet d'aborder bien des thèmes : la Bretagne en ce début de XXème s., la religion, la mort, le deuil, la place des femmes à terre et dans la société, leur importance et leur influence, la modernisation du monde et le remplacement progressif de la marine à voile par les vapeurs, l'amitié entre des hommes que tout oppose, la fourberie des armateurs, le peu de courage des politiques… et la guerre de 1914.
Le dessin est particulier et concours aussi à la force de l'histoire. Et là où certains voit du
Hugo Pratt, moi je verrais plutôt du
Charles-Jean Hallo (ALO) ou du Charles de Kergariou (Kerga)…