Je n'avais pas lu
Linda Lê depuis une quinzaine d'années. Ca me fait tout drôle d'écrire les choses comme ça : j'ai l'impression de dire que je ne l'avais pas vue depuis 2002. Et tant sa
voix en littérature est pleine de vie (même si paradoxalement son personnage principal dans ce livre vient de mourir), riche et truculente, j'ai en effet vraiment l'impression de renouer le dialogue avec une femme passionnante.
Brièvement, c'est l'histoire de Van, émigré à 15 ans du Vietnam vers la France des années 60-70, pétri avant même son arrivée de culture française, et qui vient de mourir. Quatre
voix se font écho dans ce livre : la sienne, et celles des trois femmes qui ont le plus compté pour lui (à l'exception de sa mère) : sa femme, Lou, sa fille, Laure et la mystérieuse et envoûtante Ulma.
Ces quatre
voix alternent le récit qui est tout à tour bilan de vie amoureuse, intellectuelle et réflexion sur l'identité (bien qu'il ne s'agisse pas non plus véritablement d'une quête en la matière).
Je n'avais pas oublié à quel point
Linda Lê était une artiste de la langue, parfois érudite, mais jamais prétentieuse ; en revanche, j'avais oublié à quel point sa langue est vivante, truculente. Elle n'en fait jamais trop : quand elle prend la
voix de Laure, qui est une adolescente, cela reste toujours crédible, par exemple. La littérature et l'écriture, comme moyen d'apaiser par une forme de baume sur les plaies de l'âme, sont aussi au centre du livre. Il abonde en références qui à n'en pas douter ont été soit des explorations ou des passions de l'auteur. Elle ne s'en sort pas trop mal dans ce registre, même si parfois on est un peu assailli par celles-ci : mais comme je l'ai dit, la culture et la littérature sont aussi au centre de son oeuvre, pilier permettant à la fois de se projeter et de constituer les racines qui manquent tant à ses personnages. Car finalement, tous ces déracinés, l'un de son pays natal, mais pas pour autant nostalgique, les deux autres de familles où elles n'ont pas été assez aimées et la dernière tanguant sur les flots de son adolescence, tous finissent par trouver à planter leurs racines dans le sol d'une patrie plus sûre que toutes les autres : l'art, sous forme littéraire, plastique ou musicale. le salut est-il dans l'art ? C'est ce que semble suggérer ce brillant livre, jamais pompeux, qui fait coïncider les bilans personnels avec les regards aigus sur les idéologies de différentes époques et de différents pays. Un très riche livre, pour de très riches heures de lecture !