J’ai croisé un groupe de collégiens dissipés en sortie. En rang par deux, ils s’agitaient bruyamment derrière leur professeur, qui menait sa classe d’un pas pressé. Ils me faisaient face et je dus m’écarter à leur passage. La queue de convoi était moins joyeuse, plus agitée. Déplacements de poubelles, évitements de rétroviseurs, bousculades. Quelques insultes. Un adolescent se dissociait nettement de la liesse de l’avant et des remous de l’arrière. Il descendit du trottoir, profitant de la désorganisation du rang pour se laisser doubler,puis distancer d’un mètre, de deux. Tout en ralentissant, il ne quittait pas des yeux le professeur qui ouvrait la marche. Lorsqu’il fut près de moi il s’arrêta quelques secondes. Je surpris dans ses yeux une lueur soudaine, une étincelle de certitude. Brusquement il rebroussa chemin. À la même allure, tête baissée, le pas déterminé et les mains serrées autour des bretelles de son sac à dos. Je le suivais sans le quitter du regard. J’hésitai à l’interpeler, à prévenir l’enseignant qui allait s’inquiéter et porter la responsabilité professionnelle de cette évasion. Peut-être nécessaire, en tout cas courageuse, et qui sait, peut-être vitale. Je renonçai. J’admirais. Progressivement la marche de l’écolier devint course, il écarta ses mains qui se mirent à battre l’air alternativement, lourdeur de l’albatros avant l'envol. À l’angle de la rue suivante, il disparut. J’ai accéléré à sa suite, bousculé les badauds sans réfléchir. Au carrefour je stoppai avec l’espoir de retrouver la silhouette du fugitif. Il avait disparu et son image me manquait déjà. Je me souviens avoir levé les yeux vers le ciel.
J’ai toujours aimé les salles d’attente. Les halls de gare, les terrasses des bistrots. Tous les lieux où le temps est suspendu pour un moment de solitude parfaite puisqu’elle va bientôt se conclure. Dans l’hypothèse évidemment où on est attendue, espérée. Dans les faits, il m’arrivait rarement d’exister dans le projet d’un autre. Celui du dentiste ferait l’affaire.