Elle était belle avec ses nouvelles lunettes. De grandes lunettes immenses, celles à la mode en ce moment, de forme arrondie et rétro, avec une monture épaisse et sombre. Cela donnait un peu de sérieux à son visage d’enfant. On lui avait souvent reproché cet air immature même si elle n’y était pour rien. Le temps ne semblait pas avoir d’emprise sur elle. À bientôt trente ans, elle en paraissait à peine vingt-cinq. Ses cheveux courts, tel un écrin de velours blond, se posaient doucement autour de son visage aux formes rondes et douces comme une gourmandise de confiseur.
C’est sa vie. C’est leur vie. Nous sommes les uniques propriétaires de nos destins. C’est son choix, c’est un choix difficile, douloureux, pour vous et pour elle aussi sûrement. Mais elle l’a fait. Elle ne vous appartient pas. Vous êtes des êtres libres. Affranchissez-vous. Prenez du recul. C’est la fin d’une histoire, le début d’autre chose. N’allez pas tout gâcher par des actes impulsifs, guidés par la colère. Tuer les gens, ça défoule un instant, puis après ça détruit tout.
Bientôt, il faudrait reprendre le cours normal des choses, continuer à dérouler méthodiquement le fil de la vie quotidienne, avancer, avancer, bravement, les manches retroussées. Vivre. Il y avait le boulot, les potes, la famille, Paris, les rêves, les projets, le passé, rien de bien folichon, il était bien loin des personnages qu’il incarnait à longueur d’année sur les planches ou à l’écran, non, il y avait simplement la vie, à dérouler coûte que coûte, vaille que vaille.
Ces dix jours dans les calanques lui avaient aussi permis de retrouver Myriam telle qu’il l’avait connue et dont il était tombé fou amoureux dix ans auparavant. Un joyau caché sous une couche de poussière grise qu’il avait suffi de laisser s’envoler sous les brises méditerranéennes pour qu’il retrouve tout son éclat.
La pugnacité est une de vos qualités que je préfère. J’avoue qu’elle m’a par ailleurs bien servi. Mais parfois, il faut savoir lâcher prise, prendre un peu de recul, pour avoir une vision d’ensemble, un panoramique, plutôt que de décortiquer chaque millimètre carré de l’écran avec une loupe d’entomologiste.