Trois jours et une vie est un roman ante 2000.
Pierre Lemaitre l'a publié en 2016, mais le récit nous renvoie à 1999. Il se concentre sur 3 journées, du 22 décembre à Noël, de la vie d'Antoine, 12 ans, qui réside à Beauval avec sa mère divorcée. L'action est mise en branle par la mort du chien des voisins, Ulysse, bon bâtard, compagnon d'Antoine, suivie de la mise à mort de Rémi, 6 ans, fils des voisins. le meurtrier n'est autre qu'Antoine.
Si
Pierre Lemaitre a choisi de situer son récit en 1999, ce n'est pas par hasard. Cette fin d'année et de siècle a été marquée par le passage de plusieurs tempêtes. Ce sont Lothar et Martin qui vont dévaster Beauval dans le roman. La première partie atteint un paroxysme dans la dramatisation avec le constat des affres de la catastrophe naturelle. Une deuxième partie reprend le récit de la vie d'Antoine en 2011, puis une troisième en 2015. Il ne peut évidemment oublier son acte, est en proie à des accès de panique, et semble à plusieurs reprises prêt à se confier pour se libérer de son terrible secret.
Pierre Lemaitre insuffle à ses romans une violence choquante. Ici, le personnage d'Antoine, à lui seul, réunit les éléments propres à heurter la sensibilité du lecteur. A 12 ans, il évolue dans une certaine marginalité par rapport à ses camarades de la petite ville de province où il grandit, Beauval. L'auteur analyse très bien la psychologie de ce pré-ado solitaire, qui reporte son affection sur le chien, Ulysse. L'exécution d'Ulysse par son propre maître, insensible et froid, a de quoi choquer aussi. Antoine, qui y assiste, en est révolté. En rage, il se venge sur le petit Rémi, innocent, candide, plein de confiance et d'admiration pour Antoine. On est dans l'horreur totale.
Pierre Lemaitre possède un grand talent pour truffer ses romans de détails qui participent à l'atmosphère générale de violence, tout en teintant d'un humour noir truculant ses histoires sordides. C'est par exemple l'évocation de Monsieur Kowalski, charcutier, surnommé par les enfants Frankenstein.
L'auteur s'attache, d'autre part, à décrire l'esprit petit bourgeois de Beauval, où le maire, Weiser, est aussi l'employeur principal de ses administré, et exerce ainsi un ascendant sur la population. L'aspect social du roman est spécialement soigné. C'est un sujet cher à l'auteur bien à gauche, et constant dans son oeuvre.
La fin de la première partie, avec la messe de Noël, est pleine d'ironie. Les paroles du jeune prêtre, face à la famille Desmedt, prennent une dimension révoltante. L'auteur joue sur le décalage total entre les propos du curé, défiant toute réalité, et les évènements qui ont ébranlé les Desmedt.
La mère d'Antoine n'est pas épargnée par l'auteur. Elle aussi refuse d'affronter la réalité et se retranche derrière un aveuglement complet face au trouble de son fils.
Pierre Lemaitre n'est pas tendre avec ses personnages, même les figures secondaires. Il les présente sous leur jour le plus sordide, avec un humour particulièrement cynique.
Pierre Lemaitre construit ses romans de façon très efficace. Il confie à
Bruno Levy sur France Culture : "Je rêve de mes personnages et des histoires de mes romans. J'écris carrément des phrases entières, avec des verbes, des sujets, des compléments. le matin, je me précipite sur un carnet pour les prendre en notes, c'est vous dire." Si son inconscient lui fournit des éléments d'écriture, il travaille très finement son récit. le découpage entretient un fort suspense.
Trois jours et une vie se termine sur un rebondissement qu'on ne voit pas venir.
Très noirs, ses romans donnent une image bien piètre de la nature humaine et de la vie en société. Mais ils sont bien toutefois le reflet d'une réalité...