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Les métamorphoses de Dieu tome 2 sur 2
EAN : 9782012791978
402 pages
Hachette Littératures (01/06/2005)
4.38/5   4 notes
Résumé :
On a longtemps cru que l'avancée dans la modernité se faisait au prix d'un recul de la religion et d'un désenchantement du monde. De nombreux phénomènes viennent mettre en cause ce mouvement et autorisent à parler d'un " retour de Dieu ". Frédéric Lenoir récuse l'image d'une modernité et d'une sensibilité religieuse qui seraient indépendantes l'une de l'autre. Il montre que nous vivons en fait une individualisation et une globalisation du religieux qui se traduisent... >Voir plus
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
L'homo universalis est la figure clef d'une trajectoire de la modernité qui, bien que présente dès l'origine, ne va pas être celle qui donnera le la à l'ensemble, qui précisera la norme. Cette modernité peut être définie comme assumant l'autonomie du sujet et la raison critique, mais proposant un regard pluriel sur le réel à la fois par le biais de la raison et de l'intuition, de la logique et du ressenti, de l'analyse méthodique et de l'intelligence du coeur. Elle est aux antipodes du type univoque de rationalité qui se développera par la suite et donnera naissance au mécanisme, à la réification, à la quantification et à la marchandisation du monde. Marginalisée, elle va s'exprimer à travers une dynamique culturelle, intellectuelle, religieuse, artistique, sociale qui entend résister à l'autre modernité, dominante, celle de "l'homme unidimensionnel" qui s'accommode d'un monde désenchanté, purement rationnel, sans poésie, sans mythe et sans mystique, qui, au nom de la légitime lutte contre les aliénations et pour les progrès de la connaissance, confond superstition et spiritualité, imaginaire et obscurantisme. Tandis que "l'homme universel" admet plusieurs niveaux de réalité, tant en lui-même que dans le monde, "l'homme unidimensionnel" ne perçoit qu'un seul niveau : celui qu'il peut appréhender par sa raison logique. L' "homme unidimensionnel" est directement issu de Descartes et de son projet de lire l'ensemble du réel à travers la méthode mathématique et la ratio. L'homme universel renvoie à la première Renaissance, celle de Paracelse, de Pic de la Mirandole ou de Marsile Ficin, l'un des maîtres de la Renaissance néoplatonicienne (il achève en 1486 la traduction des Ennéades de Plotin). Nous avons déjà évoqué l'importance prise par Pic de la Mirandole dans l'émergence de cet humanisme qui ne réussira pas à l'emporter devant l'évolution rationaliste et capitalistique de la modernité historique. Cette première modernité était, me semble-t-il, plus riche en terme de potentialité d'humanisation que celle des Lumières qui préféreront une figure de l'homme dans laquelle domine l'exercice d'une ratio critique, "cartésienne", et, finalement, plus étroite, philosophiquement et théologiquement, que l'intellectus dont parlent les médiévaux et les humanistes de la Renaissance, autrement dit d'un intellect qui est une capax dei, capable de Dieu, c'est-à-dire de transcendance. Conception que reprendra Jung quatre siècles plus tard dans la perspective de la psychologie des profondeurs.

Chapitre 6. Un réenchantement du monde ?
£ "Homo universalis" et homme unidimensionnel
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Le métissage religieux

(...), il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'aucune religion historique n'a échappé au mélange et au métissage. le judaisme emprunte à l'Egypte et à la Mésopotamie, le christianisme offre une synthèse du judaisme et de l'hellénisme, l'islam emprunte à la Bible et aux traditions arabes pré-islamiques, le bouddhisme tibétain au bouddhisme indien et au chamanisme Bon, etc. Il n'existe aucune religion qui soit "pure" de toute "contamination" extérieure. Les traditions religieuses, telles que nous les connaissons aujourd'hui et telles qu'on peut les connaître à travers les études historiques, sont des amalgames entre divers courants de pensée, diverses croyances, diverses cultures.
Ce qu'il importe aussi de souligner, c'est que ce travail de composition que l'on peut voir dans toute culture humaine, et donc religieuse, ne s'élabore pas sans tension, c'est-à-dire sans la tentative d'une nouvelle élaboration cohérente. Le métissage religieux des religions historiques ou traditionnelles ne consiste pas en la juxtaposition de croyances hétérogènes. C'est le fruit, souvent séculaire, de synthèses nouvelles opérées par un puissant travail de réinterprétation. Les éléments empruntés à d'autres cultures sont réagencés de manière consciente et organique afin de produire une synthèse cohérente. Par exemple, les premiers théologiens chrétiens, les Pères de l'Eglise, n'ont pas utilisé n'importe quelles catégories de la pensée grecque pour formuler le dogme trinitaire du christianisme naissant, profondément enraciné dans la foi et la culture juive. Il sont choisi des concepts de la pensée stoicienne comme le logos pour parler du Fils ou le pneuma pour parler du Saint-Esprit, parce que ces concepts semblaient pouvoir assumer les catégories bibliques sans les trahir. Le travail syncrétique traditionnel tente d'éviter l'écueil de ce qu'on appelle communément et de manière péjorative le "syncrétisme", c'est-à-dire la confusion et l'amalgame incohérent, justement parce qu'il assume les tensions issues de métissages culturels en cernant les logiques incompatibles, en cherchant la cohérence dans le conflit. Le travail syncrétique dans une société traditionnelle suppose donc une mémoire longue. On utilise des éléments dont on connaît la signification antérieure.

2. La globalisation du religieux
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Il est nécessaire d'insiter sur la dimension néoplatonicienne de la première version de l'humanisme et donc de la modernité, car le legs de Plotin et de ses disciples (comme Proclus) va traverser toute l'histoire culturelle, intellectuelle et religieuse de l'Europe moderne. Si ce legs est incontestablement au coeur de l'humanisme du XVe et du XVIe siècle, il circulera ensuite dans les sphères de résistance qui émergeront face, non pas à la modernité en général (parce qu'elles prennent appui sur le Sujet moderne), mais au réductionnisme, au désenchantement du monde, au primat des valeurs marchandes et d'une rationalité qui prétend épuiser la question du sens. C'est en tout cas le constat que font les générations postérieures à l'époque fondatrice de la Renaissance, des platoniciens de Cambridge (comme Henry More ou Ralph Cudworth) aur romantqiues allemands ( comme Franz von Baader ou Novalis), (...). C'est principalement autour de ce patrimoine néoplatonicien qu'un certain nombre d'intellectuels, de philosophes et de religieux défendent une image du monde et de l'homme qui est résolument moderne, dans la mesure où elle part de l'autonomie du Sujet (autovalidation, à partir de son expérience propre et intérieure, des contenus cognitifs de la pensée) en même temps qu'elle entend assumer une conception à la fois scientifique et magico-religieuse de la réalité. (...)
Autant, également, l'humanisme des Lumières ou de MArx insiste sur les dimensions extérieures, socio-économiques et politiques, de l'aliénation de l'homme, autant celui de Pic de la Mirandole à Gilbert Durand, de Marsile Ficin à Carl Gustav Jung fait le pari d'une libération intérieure, spirituelle, psychologique.
C'est au niveau de ces divers humanismes, me semble-t-il, que l'on peut poser correctement la question webérienne du désenchantement du monde. (...)

A l'instar des premiers humanistes de la Renaissance, l' "homme universel", qui tente d'allier raison critique et quête de sens, pensée logique et intuition, action sur le monde et introspection, refuse d'être réduit à cette caricature de l'homme qu'est l'homo oecomicus et entend habiter un cosmos vivant.
Rappelons-le encore une fois, en évoquant ces figures que sont l'homo universalis et l' "homme unidimensionnel", nous avons en tête des idéaux types, des pôles conceptuels, des abstractions, et non des réalités qui existent d'une façon pure dans le champ social et dans l'histoire. Mais ces figures peuvent nous aider à comprendre que le Sujet religieux à l'époque moderne, celui notamment qui entend réenchanter le monde, ne se situe pas dans la continuation mécanique de l'homme religieux médiéval et antique, mais est l'une des cristallisations du Sujet moderne lui-même, et cela parce qu'il est sujet.

Chapitre 6. Un réenchantement du monde ?
£ "Homo universalis" et homme unidimensionnel
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La raison critique ne se contente pas de s'investir dans la connaissance scientifique ou dans la remise en cause des institutions., elle s'introduit aussi dans la libre lecture des textes bibliques et tente de les "démythologiser" (elle aboutira à Bultmann). Entreprise commencée par les Réformateurs, cette relecture critique du texte biblique sape le fondement de l'autorité des institutions religieuses, et pas seulement chrétiennes, comme le montre l'exemple de Baruch Spinoza, qui est banni de la synagogue par les rabbins, le 27 juillet 1656, pour avoir remis en cause la Révélation de Moise et proposé une lecture rationnelle de la Thorah. (...)

Ainsi la religion est de plus en plus reléguée comme une sphère particulière de l'activité sociale : elle perd sa prétention à englober toutes les autres sphères de la société. La séparation du politique et du religieux -qu'elle soit inscrite ou non dans les Constitutions des Etats- est la première conséquence de ce processus de différenciation fonctionnelle qui aboutira à la privatisation progressive de la religion dans la sphère individuelle.

1. L'individualisation du religieux
Les Lumières : une quête d'autonomie § Raison critique et autonomie du sujet
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Les sociétés occidentales sont toutes devenues des sociétés pluralistes qui admettent la coexistence de plusieurs religions. Cela n'a pas été le cas tout au long du Moyen Age où l'Eglise catholique opposait sa vérité, la seule, aux erreurs professées par le "peuple déicide" (les juifs), les "infidèles" (les musulmans) et les "paiens" (tous les autres). Au XVIe siècle, la Réforme protestante met fin à la situation de monopole du catholicisme, mais tente de recréer des situations de monopole dans son propre espace. Progressivement, les Eglises finissent par admettre la nécessité d'une coexistence pacifique, et les Etats deviennent les garants de cette paix des religions.
Le fondement philosophique du pluralisme moderne part du postulat qu'il existe en dehors du christianisme une pluralité de vérités religieuses. Cette idée fait son chemin des humanistes de la Renaissance (Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Montaigne) aux philosophes des Lumières et, comme l'a montré l'historien Georges Gusdorf, au XVIIIe siècle "l'idée de religion se détache du concept d'orthodoxie confessionnelle". (Dieu, la nature, l'homme au siècle des Lumières).
Les philosophes de l'époque -de Voltaire à Kant en passant par Hume et Locke- tentent de mettre au jour "l'essence de la religion" qui pourrait transcender les religions historiques. Cette recherche d'une religion "essentielle" ou "naturelle" promeut l'idée qu'aucune religion historique ne détient à elle seule la vérité et entend fonder non seulement politiquement, mais aussi philosophiquement, le pluralisme religieux. Malgré les résistances des Eglises, cette conception s'est aujourd'hui largement imposée dans les esprits occidentaux. Le "pluralisme" a progressivement miné la notion traditionnelle selon laquelle il n'y a qu'une seule religion vraie. aujourd'hui, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, moins de 10% des individus adhèrent encore à un tel discours. L'idée qui domine, pour une très large majorité de citoyens européens et américains, c'est qu' "il existe des vérités fondamentales dans beaucoup de religions". La plupart des individus, qu'ils soient croyants ou non, pratiquants ou non pratiquants, perçoivent le pluralisme religieux comme une richesse.

1. L'individualisation du religieux
Les Lumières : une quête d'autonomie § Crise des institutions, pluralisme et dérégulation du religieux
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Vidéo de Frédéric Lenoir
Extrait du livre audio « L'Odyssée du sacré » de Frédéric Lenoir lu par Mathieu Buscatto. Parution numérique le 17 janvier 2024.
https://www.audiolib.fr/livre/lodyssee-du-sacre-la-grande-histoire-des-croyances-et-des-spiritualites-des-origines-nos/
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