J'ai déjà essayé de lire des enquêtes du juge Ti signées par
Robert van Gulik, et je dois avouer que, telle la nourriture sur la poêle en téflon, je n'ai pas accroché. Peut être que j'ai choisi les titres les moins réussis, peut être est-ce moi qui était insensible au charme de la série, mais la mayonnaise n'a pas prise entre nous. Je suis toutefois tombé par hasard sur la nouvelle série de
Frédéric Lenormand qui reprend le personnage du juge Ti à son compte. Car le juge Ti, c'est comme Nasreddine : ce sont des personnages universels qui transcendent le concept de la propriété intellectuelle.
Or donc, dans la Chine lointaine, vit le juge Ti, grand serviteur de l'empereur et de la vérité. Alors qu'il doit se rendre à sa nouvelle affectation, le bon juge est obligé par des pluies diluviennes à s'arrêter pour un temps dans une auberge quelconque. Hélas, un homme décide alors de se faire assassiner dans cette petite bourgarde. le juge Ti mène donc l'enquête pour tuer le temps en attendant la décrue. Évidemment, rien n'est ce qu'il parait au premier regard, et très vite le juge découvre d'autres étrangetés et comportements louches chez les habitants du cru, en particulier une famille noble. Je mentirais en disant que l'intrigue est surprenante : tout y est prévisible, même les retournements de situation.
Ce qui fait toutefois le charme de ce court roman de 200 pages, c'est l'humour avec lequel l'auteur anime son juge Ti. Ce n'est pas sur le ton permanent de la comédie, c'est au contraire par petites touches assassines qu'il dépeint ce fonctionnaire si imparfait dans sa légende. Discrètement,
Frédéric Lenormand mine la crédibilité du juge pour en faire le personnage central d'une farce finalement plus molièresque que véritablement chinoise. Entendez-le décrire les combats virevoltants d'arts martiaux ancestraux :
Il avait reçu dans sa jeunesse une formation aux arts martiaux. Ses enquêtes musclées dans les bas-fonds lui avaient permis de se conserver et d'appliquer ses connaissances dans ce domaine. Il prit la position dite du « tigre furieux » pour s'élancer sur son adversaire. Celui-ci lui envoya son pied dans l'estomac. le juge Ti adopta la position dite de « l'escargot dans sa coquille » et se recroquevilla en geignant.
Et que dire de la logique parfois spécieuse du juge qui, certes, a des fulgurances inquisitoriales, mais passe son temps à juger ses contemporains sans remarquer la poutre qui lui obstrue l'oeil :
« Quand comprendront-ils que la réussite n'est fondée que sur les vertus et le travail ? », se demanda le juge qui, pour sa part, était issu d'un père préfet et d'un grand-père ministre.
On pense bien évidemment beaucoup à
Barry Hughart et à sa magnifique "ancient China that never was" (
La Magnificence des oiseaux). Si la suite de la série est aussi légère et acidulée que ce Château du lac Tchou-An, où le Grand-Guignol foule du pied le caractère sacré du personnage du juge Ti, alors je me laisserais volontier embarquer dans d'autres enquêtes de cet acabit.
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