Ce n'est plus votre mari qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif...
Ce que j'ai face à moi, ce que je dessine n'est pas la vérité ! Je ne vois pas le désastre, mais une explosion de couleurs resplendissantes. Seul le compteur me dit : " C'est contaminé, ne reste pas là ! "
Comment dessiner l'invisible ?
J'avais imaginé dessiner des forêts noires, des arbres tordus, décharnés, étranges ou monstrueux... J'avais mes craies noires, mes encres sombres, mes fusains... Mais la couleur s'impose à moi.
Mon dessin ne dit rien du réel. Quelle étrangeté que de devoir représenter ce que je ne vois pas, ne ressens pas ! Mes sens me disent le contraire de ce que m'indique le dosimètre. Je suis pris de vertige. Pripiat, ville désolée, colle à ce que je m'imaginais de la catastrophe, correspond à l'image que je me faisais du désastre. Mais ici dans la zone ? Cette vibration subtile des couleurs couvre l'effroyable réalité qui se cache à mes yeux. Dessiner, c'est soulever la surface du visible et je me sens impuissant. Va pour Pripiat et ses rues vides et grises, Mais les forêts bleues ? Quoi, alors ? La beauté ? Comment ça, la beauté ?
On me donnait l'occasion de réaliser, pour la première fois, un reportage en dessin. Je ne serai pas seulement témoin du monde, mais " impliqué " ! Acteur ! Militant, quoi !
Dans ce métier, seul à gratter sur ma planche, j'ai souvent l'impression de voir le monde à travers une vitre. D'être " à côté ". Cette fois-ci, le monde, je le sentirai dans ma peau ! Bien sûr, c'était risqué... Mais tellement excitant !
J'allais découvrir des terres interdites où rôde la mort.
Pripiat, ville désolée, colle à ce que j'imaginais de la catastrophe, colle à l'image que je me faisais du désastre.
Mais ici dans la zone?
Cette vibration subtile des couleurs couvre l'effroyable réalité qui se cache à mes yeux.
Dessiner, c'est soulever la surface du visible et je me sens impuissant.
Page 134/135. Hommage au liquidateur.
Moi j'ai donné mon calot à mon fils. Il me l'a tellement demandé. Il le portait continuellement. Deux ans plus tard on a établi qu'il souffrait d'une tumeur au cerveau.
Quelle étrangeté de devoir représenter ce que je ne vois pas.
Les plaines d'Ukraine... Elles ont vu passer toutes les invasions. Ne serait-ce qu'au vingtième siècle, celles des communistes puis des nazis.
Les Ukrainiens ont subi deux famines provoquées par Staline. Des millions de morts, de déportés, puis ce fut l'arrivée des Allemands... Et c'est ici qu'à eu lieu la pire catastrophe nucléaire...
Comment survit-on à tout ça ?
Ceux qui étaient viscéralement attachés à leur terre, à leur maison, ceux qui n'avaient nulle part où aller... sont restés.
page 87
[...] Tchernobyl n'est pas réservé qu'aux scientifiques, aux techniciens du nucléaire, aux journalistes, aux humanitaires.
Nous croyons que l'artiste est à même de capter l'étrangeté de vivre là-bas et d'en témoigner.