Citations sur California girls (56)
Sadie se recula sur le siège arrière avec un mauvais pressentiment. Elle avait parfois l'impression que Charlie ne croyait pas à ses histoires de Helter Skelter. Qu'il provoquait tout ça juste pour les emmener pourrir en prison avec lui. À croire qu'il avait un compte à régler avec les femmes et les gens élevés en liberté. Une sorte d'amertume horrible, de jalousie haineuse qui remontait parfois par giclée et qui les laissait tous tristes, sales et terrorisés. Anesthésiés par les drogues et la promiscuité, trop jeunes pour douter de son amour, ils s'efforçaient de refouler cette évidence.
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Sadie n'en pouvait plus d'excitation. Les noms de Sharon Tate et de Roman Polanski venaient d'entrer dans son vocabulaire depuis une heure grâce à la télé et ils revenaient dans sa bouche toutes les trente secondes. Elle qui avait toujours été mondaine, curieuse des autres, prompte à assimiler les prénoms et les noms propres, n'en revenait pas d'avoir rencontré quelqu'un d'aussi célèbre. Elle avait même bu son sang, mais ça, elle n'en n'avait pas le droit d'en parler pour le moment, même pas à Leslie, qui l'aidait à coiffer ses beaux cheveux noirs.
Il pouvait rester une demi-heure à fixer quelqu'un sans ciller. C'est à cela que lui servait toute la violence subie, l'absence de tendresse, les nuits de peur passées en milieu carcéral depuis l'âge de treize ans : à récupérer la dette dont toutes les femmes et tous les hommes sans exception lui étaient redevables.
Le temps de l'art et des fleurs était passé, l'heure était au combat.
Comme disait toujours Charlie : "les coyotes ne boivent pas d'alcool" et les coyotes occupaient pour lui le sommet de la chaîne des êtres vivants. En bas, il mettait sa vieille mère, une ancienne délinquante alcoolique.
....Charlie avait découvert à quel point les gens élevés en liberté étaient faibles , il suffisait de leur mettre un peu la pression, de froncer les sourcils, et ils obéissaient tous, même les plus intelligents
Plongée dans son délire solitaire et dans le panorama urbain qu'elle apercevait par le carreau de la vieille Ford, elle avait l'impression de se perdre dans l'estomac d'un monstre, de remonter au hasard les veines et les artères d'une énorme bête dans un vaisseau miniaturisé.
Toutes les théories de Charlie ne paraissaient à l'époque ni pires ni plus bizarres que celles de beaucoup de chapelles locales. Dans la vaste constellation New Age, elles n'étaient qu'une utopie parmi des centaines d'autres.
Aux yeux des cochons ordinaires, les flics, les cow-boys, les psychiatres, leur dévouement pour Charlie qui les poussa à commettre des crimes inutiles, à gâcher leur vie et à braver la chambre à gaz resterait un mystère. On accuserait l'hypnose ou la drogue mais il ne s'agissait que d'amour. Elles avaient trouvé en Charlie l'époux idéal, celui que cherche les religieuses mystiques et les jeunes héros de toutes les guerres depuis l'Antiquité.
Sadie reconnut la voix douce et le timbre éteint de Charlie. C'était lui qui parlait maintenant à l'intérieur du pantalon de Tex. De sa braguette, précisément. Bien le style de Charlie d'user de ce genre de sortilège. Parler par la bite de Tex était une idée marrante qui la fit sourire. Elle se mit même à pouffer de rire à l'oreille du type blond. Elle ne doutait pas une seconde que Charlie soit caché à l'intérieur du grand corps vidé de substance de Tex qui se tenait maintenant debout près d'elle, la braguette tout contre le canapé.