California girls

Elles rirent toutes les deux comme des gamines. Leslie était mineure, Sadie avait vingt et un ans depuis trois mois et un jour. Pour les flics et les commerçants de la vallée elles étaient les « sorcières de Manson », du nom de leur gourou. Du menu fretin hippie, des délinquantes primaires qu’il aurait fallu doucher, épouiller et placer en maison de correction. Elles étaient fières de leur mauvaise réputation comme des couronnes de fleurs perlées qu’elles volaient dans les cimetières ou de leurs patchworks frangés de cheveux humains.

Les baraques de bois du ranch ébranlées par les saisons semblaient un décor d’un autre âge, une ville fantôme de western. L’endroit se trouvait à quelques kilomètres au nord d’Hollywood, à Simi Valley, un canyon perdu dans le quartier de Chatsworth, trois cents mètres sous l’autoroute 118 invisible derrière les broussailles. La propriété s’appelait Spahn Ranch et servait de repaire à un groupe disparate de hippies, de motards en rupture de gang, de fillettes en fugue, de cow-boys et de figurants professionnels. Tous frayaient là, certains plus terrifiants que d’autres, en vase clos comme dans une réserve indienne. C’était le royaume de Charles Manson, alias Charlie pour ses disciples… mais Life magazine et le monde entier l’ignoraient encore. En ce vendredi 8 août 1969, le ranch restait préservé, secret, tel un versant infernal du paradis terrestre.

Leslie pouffa :
— Vous l’avez tué pendant deux jours ?

Sacré Charlie, rusé comme un serpent. En attendant, jusqu'ici tout ce jus de cervelle ne l'avait pas mené bien loin... C'est bien le problème, avec les dingues. Ils travaillent du ciboulot, mais comme ils prennent les caillasses pour des pépites, ils restent sur le pavé.

Pour les filles de la Famille, contempler Charlie des heures durant était le summum du bonheur. Elles ne se lassaient pas de ses beaux cheveux noirs, de ses yeux brillants, du doux serpent de sa bouche qui pouvait se transformer en une seconde, passer de la bonté angélique d'un sourire à la menace, babines relevées, d'un animal sauvage.

P230 : « La guerre raciale souhaitée par Charlie, né en 1934 dans une région hantée par le Ku Klux Klan, était le préalable du retour à la nature. Cette utopie négative formait la part la plus profonde et la plus ésotérique de son enseignement, un mélange de scientologie et d'un nietzschéisme sauvage. Pour cesser d'être esclave et redevenir « clair » comme les coyotes, l'homme devait tuer l'homme en lui. »

Quand le type sentit le gros canon du 22 lui caresser les narines avec une bonne odeur de poudre encore chaude, souvenir du crâne ouvert de l'autre cochon, il ouvrit les yeux. Il dut ressentir ce que des mecs qui écrivent des bouquins sérieux, du genre Rintintin, appellent "la surprise de sa vie". Il sortit une vanne tellement au poil, preuve que les cochons épouvantés pouvaient montrer un vrai talent :
- Quelle heure est-il ?
(Tex)

Les creepy crawls étaient des cambriolages pour rire que la Famille pratiquait comme un jeu. Rentrer chez les gens pendant qu'ils dormaient et déplacer les objets.
C'était sympa.
(Sadie)

Exaspéré, JAY leva les yeux vers le miroir de sorcière encadré d'une boiserie dorée en forme de soleil, qui surmontait le lit de SHARON.
C'était ce miroir, chiné dans une brocante à Londres, qui avait donné à ROMAN, l'idée de la séquence d'accouplement avec le Diable, dans son film "ROSEMARY 'S BABY".
En voyant sa tête déformée alors qu'il baisait SHARON, il avait eu l'idée d'utiliser une caméra "fisheye" pour rendre le cauchemar de la jeune MIA FARROW qui s'imaginait blessée par la pénétration du pénis diabolique, rêche comme une dent de monstre de mer ou le couteau d'un éventreur.

_ Pourquoi on l'appelle "la sorcière" ?

La fille brune lui tressait une mèche tout en serrant ses seins chauds contre son dos. Se penchant pour lui répondre, elle hasarda au passage un petit coup de langue dans son oreille.

_Mmm... parce qu'elle arrive à visualiser à l'avance les légumes qu'on va trouver dans les poubelles quand on va faire les courses.
Hier elle a vu un chou-fleur, eh ben on en a trouvé deux dans un container.

Stéphanie n'était pas convaincue mais elle retint son commentaire.