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Critique de Isidoreinthedark


J'ai découvert Simon Liberati il y a fort longtemps, à l'époque où je lisais encore les « Inrocks », magazine que je dévorais pour ses chroniques consacrées à la musique, qui proposait également une revue de l'actualité littéraire. Simon Liberati y était régulièrement encensé, une odeur de soufre semblait émaner d'une oeuvre délicieusement transgressive. Souvent déçu par les inclinations littéraires très « rive gauche » et un peu snobs de la revue, j'avais pris soin de garder mes distances.

C'est le hasard qui m'a conduit à découvrir la très belle écriture de Simon Liberati, en lisant dans la touffeur de l'été « Trois jours et trois nuits », un recueil où des écrivains renommés (Sylvain Tesson, Pascal Bruckner, Jean-Marie Rouart, etc.) racontent tour à tour leur retraite dans l'abbaye de Lagrasse, en compagnie de quarante-deux jeunes chanoines qui mènent une vie de prière placée sous l'égide de la Règle de saint Augustin. le beau texte écrit par Simon Liberati m'a séduit par son respect sincère de la simplicité, de la beauté et de la dimension spirituelle de la vie monacale.

Lorsque j'ai aperçu « Performance », le dernier roman de l'auteur, j'ai rompu ma promesse et j'ai acheté le roman auréolé du dernier prix Renaudot. Pour ma défense, le quatrième de couverture mentionnait les Rolling Stones, le groupe qui incarne le rock'n roll, même s'il arrive loin derrière ma trinité personnelle composée du Père, Bob Dylan (God Dylan pour les intimes), du Fils, Neil Young (qui a gardé la voix de chérubin de ses débuts), et du Saint-Esprit, Leonard Cohen (qui dort parmi les anges depuis 2016).

J'ai cédé à la tentation et j'ai bu le calice jusqu'à la lie : j'ai lu « Performance » de Simon Liberati. Malgré une certaine beauté formelle liée à la fluidité de l'écriture, j'aurais mieux fait de passer mon chemin. le roman qui se veut transgressif et nous promet du sexe, de la drogue et du rock'n roll, oublie le plus important : la musique, ces quelques notes de guitare qui vous emmènent ailleurs, qui vous transportent l'âme dans un lieu où le mois de novembre n'existe pas, ce refuge sacré où rien ni personne ne peut vous atteindre.

« Performance » met en scène un écrivain de 71 ans, en mal d'inspiration depuis un AVC, qui se voit proposer d'écrire le scénario d'une série consacrée aux Rolling Stones, allant de leur arrestation en 1967 pour usage de stupéfiants à la mort de Brian Jones en 1969. Acculé par le fisc, le vieil homme valétudinaire voit dans ce projet une dernière chance de renouer avec ses ambitions littéraires, tout en vivant une histoire d'amour « scandaleuse » avec Esther, sa magnifique ex-belle fille, plus jeune d'un demi-siècle.

Ce retour sur la fin des sixties, l'âge d'or de la musique, me semblait plein de promesses. Hélas. le narrateur se regarde beaucoup trop le nombril, pour rester poli et n'évoque jamais le seul sujet intéressant de son ouvrage : ce moment incroyable où Dylan, les Stones, les Beatles et tant d'autres ont touché une forme de grâce que nul n'a retrouvée depuis. L'auteur préfère s'attarder avec une trivialité qui frôle la vulgarité sur ses problèmes de prostate et d'énurésie, et se croit sans doute transgressif lorsqu'il nous narre par le menu l'addiction à la cocaïne de sa toute jeune compagne aussi belle qu'anorexique. Malgré son gros ventre, le narrateur baise encore avec une certaine vigueur son ex-belle fille, achète de l'opium pour le réalisateur coréen de la série, et s'attache à nous décrire la descente aux enfers d'un triste sire aux allures de freluquet égaré nommé Brian Jones.

Une dose de sexe « scandaleux », beaucoup de drogues, de l'alcool aussi, mais de musique il n'est jamais question. le principal mérite du roman est le retour quasi encyclopédique qu'il nous propose sur la vie en forme de cirque malsain des Stones entre 1967 et 1969. Simon Liberati ressuscite des figures oubliées telles que la pauvre Marianne Faithfull, sur le point de sombrer dans les gouffres de la drogue, ou Anita Pallenberg qui délaisse Brian Jones pour Keith Richards dont elle fut la compagne pendant plusieurs années. L'auteur réussit avec un certain brio à recréer cette ambiance propre à la fin des années soixante, mêlant odeur d'encens, influence d'un certain folklore hindouiste et consommation effrénée de drogues.

Grâce à une écriture ciselée, Liberati réussit le tour de force de donner du rythme à un roman où il ne se passe presque rien. le seul intérêt de l'ouvrage réside dans la plongée très documentée dans l'univers trouble qui entourait « le plus grand groupe de rock'n roll du monde », et dans la description de la lente agonie de l'antipathique Brian Jones. Sa disparition laissera d'ailleurs son entourage froid. Nul ne savait alors que la mort inexpliquée de l'un des fondateurs des Rolling Stones marquait la fin d'une époque.

Cette lecture m'a rappelé qu'il faut toujours tenir ces promesses, et rester à distance de ces romans faussement transgressifs, où la consommation de drogue et la relation entre un vieil écrivain à bout de souffle et son ex-belle fille anorexique, ne sont que le masque d'une vacuité nihiliste qui ne dit pas son nom.
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