Ses pensées voletaient désespérément dans son crâne tels des oiseaux en cage.
On se devait d’être prudents. On était en Russie, dans une petite pièce surchauffée, avec des gens qui ne parlaient pas l’anglais – a priori. Mais notre interprète était derrière nous. Elle se débrouillait très bien dans notre langue et comprenait même quand on s’exprimait très rapidement.
Tu es désolée quand tu casses quelque chose. Tu es désolée d’être devenue si grosse que je n’ai plus envie de te toucher. Tu es désolée de me servir chaque jour de la bouffe qu’aucun individu normalement constitué ne pourrait avaler. Tu es toujours désolée. Mais tu sais ce qui m’énerve vraiment chez toi ? Que tu ne fasses rien pour que ça change. « Je suis désolée, je suis désolée ». C’est insupportable.
Elle avait craint de se retrouver avec un mari et trois enfants dans un de ces minuscules appartements préfabriqués – et de voir l’exiguïté des lieux et l’absence de perspectives avoir raison à la longue de son mariage. Mais pouvait-on dire qu’elle avait trouvé mieux ici ? Elle habitait une maison mitoyenne sinistre dans une banlieue de Leeds, avec un homme qu’elle détestait et qui l’avait épousée uniquement parce qu’elle avait été la première femme à ne pas pouvoir lui échapper.
Xenia ressentait une paix presque indescriptible. Comme si son corps se délestait enfin de toutes les tensions accumulées ces dernières années. Elle avait oublié depuis longtemps ce que c’était d’être libérée de toute pression, de pouvoir respirer librement. La peur rôdait non loin, bien sûr, mais pour le moment Xenia avait trouvé asile dans un véritable havre de paix – la maison de Kate.
Elle était plus que jamais convaincue que Xenia dissimulait quelque chose de son passé. Aucune femme ne serait restée de son plein gré avec un pareil tyran. Kate avait l’impression qu’on pouvait à peine respirer en sa présence.
Je crois que, dans la vie de votre femme, il s’est passé quelque chose dont elle ne veut absolument pas parler pour une raison que j’ignore. Elle affirme ne pas connaître le tireur du train et ne pas savoir pourquoi il en avait après elle. Moi, je ne la crois pas. Je suis sûre qu’il y a un truc. Elle a très peur d’en parler, encore plus que de se faire tuer.
D’après moi il y a dans le passé de Xenia quelque chose qui cloche. Et elle a horriblement peur que ça éclate au grand jour. Comme elle ne veut pas en parler à la police, je suppose qu’il s’agit d’un crime ou d’un délit. Jacob est peut-être au courant.
Kate savait par expérience que les gens finissent toujours par dire ce qui les tourmente. Xenia avait besoin de quelqu’un à qui se confier, c’était clair.
Elle avait entendu jusqu’à plus soif ces phrases rebattues : « Si tu n’es pas capable de t’aimer toi-même, personne ne t’aimera », « Tu dois apprendre à te débrouiller seule, alors seulement tu seras capable de vivre à deux ». Elle avait bien évidemment appris à se débrouiller seule dans la vie, comme tant d’autres. Mais ces derniers étaient-ils heureux ? Il était préférable de ne pas poser la question.