Entre tous les genres de goûts, le goût musical paraît le plus fugace et le plus subtil. « Il n'y a point d'art, écrit Le Batteux, autre que la musique où le goût soit plus avide et plus dédaigneux. » Faut-il, à l'appui de ce jugement, citer les auteurs si nombreux qui consacrèrent de copieuses brochures aux « Révolutions » de la musique, les Leblond, les Marmontel, les Bonnet, les Martine? On conçoit sans peine que tous aient été attirés par les remous de l'opinion musicale, par ses contradictions et ses bizarreries. Mais ces remous, ces faits en apparence si incohérents dont se façonne l'histoire de la musique ne doivent-ils être appréciés que comme des caprices, ou bien se rattachent-ils à des causes définies, à des changements nécessaires dans la manière de sentir et de juger ?
Le sentiment de la nature s'impose au goût musical, en raison de l'imitation plus ou moins fidèle que l'art permet de retracer des sonorités naturelles. C'est par son côté extérieur, immédiat, et pour ainsi dire tangible, que ce sentiment se perçoit; la musique est jugée d'autant plus pittoresque qu'elle s'ingénie avec plus d'exactitude à créer ce qu'on pourrait appeler des « trompe-oreille ». On en vient ensuite à raffiner sur cette conception du monde matériel, on se détourne de la description proprement dite pour écouter la philosophie que parlent les choses en un langage mystérieux et subtil. De l'immense machine qui nous enserre, nous démontons lentement les mille rouages et découvrons entre ceux-ci d'innombrables rapports ; des lois de dérivation se pressentent et, d'une cellule initiale, par une série ininterrompue de divisions dichotomiques de généalogies thématiques, jaillit toute une symphonie.
Il suppose avant tout l'émotion, parce que le propre de l'oeuvre d'art consiste à émouvoir. Qu'il s'agisse du naïf ou du connaisseur, de l'illettré ou du lettré, c'est toujours de l'émotion ressentie que résulte le jugement du goût. Chez le naïf, l'intensité de l'émotion en assume seule la genèse, tandis que, chez le connaisseur, l'intensité cède le pas à la qualité, qui devient le principal agent moteur.
Des travaux récents ont montré que, rattaché à ses origines, le goût ne comporte qu'une distinction, qu'un choix. Il n'a aucune réalité objective, varie « avec les facteurs qui entrent dans l'équation esthétique de l'individu considéré » et, par conséquent, il n'est ni bon ni mauvais. C'est à tort qu'on cherche à le confondre avec celui des gens cultivés, avec l'appréciation dogmatique de ce que M. Remy de Gourmont appelle justement la « caste esthétique ».
Dès l'aurore de la musique française, deux espèces de mélodies représentent la notion de forme sonore déjà acquise par le public : ce sont la cantilène grégorienne et la chanson populaire ; toutes deux n'admettent qu'un seul instrument de traduction, à savoir la voix humaine, et toutes deux s'associent au langage, parfois à l'art du geste, revêtant de la sorte un caractère expressif d'une grande précision.