Une vraie-fausse errance cycliste montagnarde, une immobilité trompeuse, une confrontation décisive entre ce qui est et ce qui pourrait être. Avec le langage précis qu'il faut pour cela. Impressionnant.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/12/08/note-de-lecture-
vivance-david-lopez/
Dans son premier roman, le fabuleux «
Fief » de 2017,
David Lopez avait su inventer une redoutable langue composite lui permettant de coller au plus près de l'ennui péri-urbain, et d'y déceler (ou imaginer, ce qui revenait au même) des interstices vertigineux, contre toutes attentes sociologiques et au mépris de tous les clichés instinctifs, superbement digérés, attachés aux lieux choisis par lui. Avec ce «
Vivance », deuxième roman publié au Seuil en août 2022, il renouvelle ce miracle du langage ad hoc, mis au service cette fois d'une étrange errance montagnarde et cycliste, jouant de la chronologie, du rêve éveillé et d'une fausse statique (renversant totalement la formule « mobilis in mobile », pour un tout autre capitaine Nemo que celui de
Jules Verne) pour explorer avec une subtilité véritablement dérangeante (au plus fort sens littéraire du terme) l'écart inexorable entre ce qui est, ce qui est perçu de l'extérieur et ce qui est vécu intérieurement.
Errance cycliste sur de petites routes de montagne, entre villages réputés moribonds et bourgades trop paisibles, échappée (on sera tenté de se demander, naturellement : de quels pelotons ?) qui pourrait renvoyer à l'arrachée, différemment paroxystique, imaginée par
Lou Darsan, conjonction rusée de phases statiques et dynamiques, d'arrêts et de montées en danseuse, qu'une chronologie savamment torturée rend encore plus potentiellement impénétrables et curieusement révélatrices : «
Vivance » est tout cela. Articulé en beauté autour d'une inondation aussi cruciale et emblématique que le choléra à Manosque du « Hussard sur le toit » – une autre errance à portée métaphysique comme en se jouant de tout – de
Jean Giono (dont, par-delà les paysages environnants, «
le chant du monde » ne serait pas si loin non plus), «
Vivance » trouble les certitudes, questionne les rôles sociaux, joue avec les inquiétudes rampantes attachées à ce qui ne se conforme pas exactement (et à quelques situations spécifiques où peuvent rôder les tropes du film d'horreur…), manie à parts égales et secrètes la bienveillance et le danger, et nous offre bien, si l'on reprend en partie la belle formulation de
Hugo Pradelle dans sa recension pour En attendant Nadeau, ici, une sublime et courageuse confrontation du réel à ses déceptions, par le truchement d'un personnage joliment hors du commun.
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