« Le Gustave » comme on l’appelait ici, passait pour un original. Fils d’une riche famille de paysans du cru, il n’avait point voulu travailler à la terre, ni même dans autre chose. Non, il préférait perdre son temps à courir alentour, dessinant tout ce qui lui tombait sous les yeux. Ici les gens étaient âpres à la tâche, aussi regardaient-ils d’un œil suspicieux cet hurluberlu qu’ils traitaient, lorsqu’ils étaient entre eux, de fou quand ce n’était pas de fainéant. Mais il n’en avait cure. Très jeune, il s’était découvert une passion pour le dessin et ne vivait désormais que pour son art dans lequel il avait acquis, à force de travail, une réputation qui semblait prometteuse.
Aux aurores, ils sont venus nous chercher. Quatre hommes en armes nous ont escortés jusqu'à un officier. À ses côtés, un SS nous toise d'un regard haineux. Celui-ci n'a d'allemand que l'uniforme, c'est un français, comme nous. Certainement un « bon français » selon les critères maréchalistes, une ordure de la pire espèce selon les nôtres. L'appel commençe, accompagné d'un rituel lugubre. Pour chaque nom cité, l'allemand raye celui-ci de son registre.
Incrédule, Louis ne pouvait y croire, et pourtant… La Vouivre avait bel et bien deux vies. L’une de femme, tant que le soleil brillait et une autre de créature serpentine dès que la nuit tombait. L’escarboucle était son œil, celui qui lui permettait de voir en toute chose, en toute âme, la vérité du monde. Et dès les premières heures du soir, elle regagnait son royaume, en se coulant dans les eaux vives de la rivière.
Ainsi passèrent quatre longues années. Dame Berthe, qui venait de fêter ses vingt et un printemps, était toujours dans l’attente de plus en plus désespérée, du retour de son époux. Un beau jour se présenta, à la herse du château, un chevalier blessé. Il s’agissait d’un frère d’armes de messire Amaury, Amé de Montfaucon. Il lui fut offert le gîte et le couvert, ainsi que les soins que son état nécessitait.
C’était un bonhomme pas très recommandable. Non qu’il ait mené une vie dissolue, mais parce que cet homme au physique sauvage était irascible et méchant.
Il était né au cœur du plateau des Mille Étangs, sur cette terre sauvage envahie d’eaux sombres et de bruyères, où les histoires de sorcières se racontaient le soir à la veillée. Au Brigandoux, c’est là qu’il était né.