Obsolète

L'archéologue parcourut du regard le jardin intérieur du musée. La pluie tapotait les feuillages, ouvrait les pétales bleus des hampes fleuries. La pénombre, sous l'arbre, redessinait la vie.

La modification commençait bien en amont du retrait. Les femmes se détachaient progressivement de tout ce qui faisait leur histoire : bonheurs, souffrances, parcours, valeurs, elles reniaient leur carrière, leurs compétences professionnelles, leur haut niveau d'expertise. En quelques semaines, elles piétinaient tout, devenaient ce qu'elles s'étaient toujours défendues d'être pour se la couler in fine dans un moule de superficialité. Mes beaux cheveux, ma petite robe, mon mascara, ma crème pour les mains. Un wagon de femmes usagées dont on aurait siphonné la cervelle.

- On peut faire de sa souffrance autre chose que de la douleur.

Sky glissa soigneusement la petite tresse à l'intérieur. L'image de ces appareils démontés pièce par pièce, chaque élément placé dans le bac de recyclage adéquat, lui vint à l'esprit. Sa mère en kit.

Comme l'on relance un ordinateur après une mise à jour, on comptait sur eux pour redémarrer leur vie en deux temps, trois mouvements.

"Et quand une chose est finie, seuls les endroits où on a souffert sont supportables. Si on retourne aux lieux de son bonheur, le coeur éclate de chagrin." Dorothy Parker, La Vie à deux

Un bracelet modère nos humeurs, enregistre nos émotions et contrôle nos montées d'adrénaline, une manière de fermer nos yeux, de mettre des oeillères. Mais à l'intérieur, nous sommes restés les mêmes. Fragiles, imprévisibles et sots.

On nous arrache comme une mauvaise herbe à ceux que l'on aime.

- Sans oublier une fâcheuse obsession du blanc.
On blanchissait le papier à lettres, la papier-toilette, le papier à cigarettes, les filtres à café, le coton du coton-tige et celui dont on tissait les vêtements, on blanchissait les mouchoirs, les serviettes et les tampons hygiéniques, la peau, les dents, même les cachets des médicaments. On blanchissait jusqu'à nos propres gènes, laissant l'origine africaine d'Homo sapiens et sa peau foncée aux paléoanthropologues.

Je suis petite et, déjà, un produit sans grand avenir.