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Critique de dourvach


On ne revisite pas innocemment – ni impunément – les Terres d'éblouissements de notre adolescence. Tout avait (si bien) commencé dès l'âge de quinze ans par la projection du film "La Malédiction d'Arkham" ("The Haunted Palace", 1963) de Roger CORMAN au Ciné-Club un rien poussiéreux de notre lycée... On y découvrait – en v.f. alors – la diction très appuyée de l'acteur Vincent Price excessivement inquiétant (Charles Dexter Ward/Joseph Curwen "le sorcier de Salem"), la porcelaine du visage angélique de la belle Debra Paget (Mrs Ward dans le film), les charmes jaune d'or, bleu outremer et émeraude du Technicolor, la partition ténébreuse et fascinante de Ronald STEIN (responsable de la b.o.), le fabuleux générique à l'araignée tissant si patiemment cette toile où un beau papillon coloré se laissera prendre, les stigmates de la "Malédiction d'Arkham" (étrange petit port de pêche en carton-pâte situé à l'intérieur des Terres de la Nouvelle-Angleterre, aux ruelles emplies de la brume des machines à brouillard - à l'instar de son cimetière au arbres morts "Caspar David Friedrichiens" aux formes torturées), Arkham hanté par cette petite fille titubante aux yeux occultés par une membrane de crapaud, la vision finale d'une créature verdâtre et floue tapie dans l'une des fosses aux sacrifices du Manoir... Puis la mention au générique : " FROM THE POEM BY Edgar Allan POE AND A STORY BY H.-P. LOVECRAFT " : sauf que POE n'y était pour rien et le mystérieux "LOVECRAFT" à la base d'à peu près tout ! Et nous voici à la recherche du livre de poche des Editions "J'AI LU" (en collection "fantastique"), riche de ses 182 pages. C'était la digne traduction (réalisée par Jacques PAPY en 1956 pour le compte des Editions Denoël) d'une histoire rédigée en langue anglaise en 1928, publiée une première fois dans la revue "Arkham House" en 1941 (4 ans après la disparition physique de son auteur) et intitulée " The Case of Charles Dexter Ward", longue nouvelle ou roman court en cinq actes aux titres de chapitre un rien grandiloquents mais si prometteurs : 1. RESULTAT ET PROLOGUE, 2. ANTECEDENT ET ABOMINATION, 3. RECHERCHE ET EVOCATION, 4. METAMORPHOSE ET DEMENCE, 5. CAUCHEMAR ET CATACLYSME.

Ce petit opus était devenu pour nous "le film" en version étirée, moins la présence de Mrs Ward/Debra Paget (Dommage...). Certes, le film de Corman était fauché mais particulièrement inspiré, le livre besogneux et un peu guindé - mais qu'importe : la magie opérait. Il y avait la fameuse "mine couche de fine poussière d'un gris bleuâtre", sorte de mantra à l'ubiquité fascinante, un peu le "petit pan de mûr jaune" (ou jaunâtre) proustien de Sa Majesté Lovecraft... Les créatures "cthulhuiennes" des fosses, le poids de l'hérédité... Un monde s'ouvrait devant nous, terriblement prometteur... Un enfer était pavé de pièces maîtresses telles "La couleur tombée du ciel", "Dans l'abîme du temps", "Je suis d'ailleurs", Par-delà le mur du sommeil", "Démons et merveilles", "Dagon", "Le Rôdeur devant le seuil" (poésie profonde et prometteuse des titres). L'homme avait habité la Nouvelle-Angleterre, vécu en reclus et presque dans la misère, vivant exclusivement de travaux de réécriture, au centre d'un réseau phénoménal de relations épistolaires, s'étant bien peu éloigné de sa ville natale (Providence) durant ses seulement 46 années d'existence. C'était Howard-Phillips LOVECRAFT (1890-1937) qui mettait en scène et en mots ses chers fantasmes, peurs, névroses et autres obsessions morbides - et c'était proprement fascinant. Après le bon & prolifique Roger CORMAN (né en 1926), un autre ex-adolescent et excellent metteur-en-scène, ci-devant fils de garagiste né dans l'Etat de New-York en 1948, nommé John CARPENTER, s'y immergea corps et biens en nous offrant successivement : "The Thing" ("La Chose", 1982 - "classique" qui verra en 2011 une suite ou "prequel norvégienne" cauchemardesque due à Matthijs van Heijningen Jr), "Prince of Darkness" ("Prince des Ténèbres", 1987) puis "In the Mouth of Madness" ("L'Antre de la Folie", 1995, avec l'excellent Sam Neill). Certes, ce que nous a laissé Lovecraft n'était pas forcément - toujours - "de la grande Littérature" (et la simple relecture objective et patiente de "The Case of Charles Dexter Ward" nous en montre toutes les limites, par ses touchantes invraisemblances psychologiques et ses pesanteurs de style) mais c'était - si l'on ose dire - neuf, "frais", et plein de promesses. L'auteur aimait souvent rendre hommage à ses modestes "frères" – prédécesseurs ou contemporains – oeuvrant ou ayant oeuvré dans le genre alors trop souvent méprisé du pur "Fantastique" (Jacques CAZOTTE, Edgar Allan POE, Nathaniel HAWTHORNE, Lord DUNSANY, Arthur MACHEN, Algernon BLACKWOOD, etc - il nous faut relire, pour s'en convaincre, son fameux essai "Epouvante et surnaturel en Littérature", 1927-35/1945). Lovecraft est d'abord un incroyable gisement, une carrière à ciel ouvert : Nyarlathotep et le "Necronomicon" de l'Arabe fou Adbul Al-Hazred n'y sont que "simples" pépites vénéneuses...
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