- Maître, j'admets bien que certaines croyances méritent d'être respectées. Mais les idolâtres, les adorateurs du soleil ?
- Crois-tu qu'un roi serait jaloux si tu baisais le pan de sa robe ? Le soleil n'est qu'une paillette sur la robe du Très-Haut, mais c'est à travers cette paillette resplendissante que les hommes peuvent le mieux contempler sa Lumière.
- Une autre question me préoccupe. Qu'as-tu bien pu dire à mon père, à mon frère Hormizd, à mes oncles et à cette femme, Dénagh, pour qu'ils te tiennent en si grande vénération ? Ne leur aurais-tu pas révélé quelque secret de l'univers ?
- Ils ont entendu de ma bouche les vérités qui étaient en eux. On n'écoute jamais que sa propre voix.
"Lorsque tu fermeras les yeux pour la dernière fois; ils s'ouvriront aussitôt, sans que tu l'aies voulu. Et ton premier instant sera fait d'incrédulité. Quelle qu'ait pu être ta foi.
[..]
Passé l'instant d'incrédulité, chacun retrouve ses travers, ses habitudes. Et le tri s'opère entre les humains. Sans besoin de tribunal.
Celui qui a vécu par la domination souffrira de ne plus être obéi ; celui qui a vécu dans l'apparence a perdu toute apparence ; celui qui a vécu pour la possession ne possède plus rien, sa main se ferme sur le néant. Ce qui était à lui appartient désormais à d'autres. Comme un chien au bout de sa laisse il hantera à jamais les lieux de son séjour terrestre, attaché.
Mendiant ignoré là ou il fut maître.
Les Jardins de Lumières appartiennent à ceux qui ont vécu détachés"
Sitôt fondées, sitôt délaissées, bien des villes promises à la pérennité redevenaient vergers ou pâturages. Tout juste marquées d'une stèle, elles attendraient dans le temps immobile la pelle savante de quelque archéologue.
L'amour des rois n'est guère moins dévastateur que leur haine.
A Charay, entrepôt de la Mésopotamie, c'était dans les bouges plantés le long de l'estuaire que se préparaient les voyages. Affréteurs, matelots, changeurs, honorables trafiquants, ribaudes, diseuses d'aventures. De cette faune qui retentissait de gros rires avinés et de refrains gaillards, Mani et Pattig restèrent à l'écart. Et même prudemment au-dehors, dans une rue passante et ombragée. A Malchos de faire seul les manœuvres d'approche, Malchos dont le regard cherchait déjà un compatriote ; il était sûr d'en trouver un ou plusieurs, les Tyriens pratiquant depuis des siècles la route de la girofle et de la cardamome.
L'art de Mani s'épanouissait ainsi dans les marges des livres, sans préméditation, mais avec l'adroite fureur des maturités précoces. Tracer d'abord à l'encre des copistes les frêles contours des êtres et des choses, puis les enfler de clartés. Minutes de bonheur, dérobées jour après jour à la vigilance des "frères".
L'existence est un collier de dettes, une succession de règlements de comptes, on peut s'en acquitter avec mesquinerie ou magnanimité, mais on a le devoir de s'en acquitter.
Ceux qui ont choisi de guider les autres doivent renoncer à tout pouvoir et à toute richesse, ils ne doivent posséder que l'habit qu'ils portent, rien d'autre, même pas la nourriture du lendemain. C'est ainsi qu'on pourra distinguer les sages des faux dévots vendeurs de croyance.
Dieu est avec nous là où nous irons, il nous a créés et nous a pourvus de raison pour le reconnaître. Dieu est lumière à chacun de la découvrir, mais si on utilise mal cette raison on ne capturera qu'obscurité.