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Voilà un recueil de nouvelles particulièrement prenant. Nous retrouvons ici une bonne dose de réalisme magique qui mêle, en fonction de la nouvelle, fantasy, horreur, dystopie, fantastique et réflexions féministes. Ces nouvelles traitent de violences, des rapports qu'entretiennent les femmes avec les hommes et vice-versa, mais également de désir, de sensualité, de notre rapport à notre corps. Ces histoires sont queers, elles parlent de féminité, de maternité, mais également des maltraitances subies par les corps féminins.

J'ai eu un énorme coup de coeur pour l'étrange « Particulièrement monstrueux » qui est directement devenue une de mes nouvelles préférées. Carmen Maria Machado n'hésite pas à utiliser des procédés d'écriture originaux et intelligents, et elle le fait avec talent. Elle a une voix bien spécifique, qui vibre d'originalité. Son écriture m'a vraiment happée, j'ai enchaîné rapidement toutes les nouvelles. Seul petit bémol : comme souvent dans les recueils, les nouvelles ne sont pas toutes aussi bien les unes que les autres. C'est malheureusement inévitable et ça ne concerne que le principe même d'un recueil de nouvelles et non celui-ci en particulier.

En somme, je découvre ici une autrice à la plume entrainante, qui aborde des sujets importants avec originalité et un certain cynisme (que j'adore). J'ai hâte de m'attaquer à ces autres travaux, en particulier Dans la maison rêvée, qui est dans ma PàL depuis quelques temps.
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L'américaine Carmen Maria Machado s'était fait connaître avec La maison rêvée, roman (pas lu ici) qui explorait la violence conjugale et l'emprise au sein d'un couple lesbien.
On la découvre ici avec quelques nouvelles réunies sous le titre Son corps et autres célébrations, où elle continue de questionner le corps des femmes.
Ça commence dans une ambiance un peu inquiétante, façon conte japonais cru et morbide, avec l'histoire d'une jeune femme qui accepte tout de son mari sauf qu'il touche le ruban vert qu'elle porte autour du cou ... et l'on comprendra trop tard pourquoi.
Il sera beaucoup question de sexe (hétéro et surtout lesbien) et pas mal question de mort aussi.
Comme bien souvent, c'est encore un recueil de nouvelles assez inégal : certaines sont vraiment bien vues et valent le détour (Le point du mari, À corps perdu), d'autres franchement trop longues finissent par lasser (Particulièrement monstrueux), d'autres encore, remarquables, pourraient faire penser à un clone féminin de Bukowski (Inventaires), ... bref chacun (quelque soit son orientation sexuelle !) y fera son marché.
Pour celles et ceux qui aiment les femmes.
Lien : https://bmr-mam.blogspot.com..
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Revisiter le féminin.

Il s'agit d'un recueil de nouvelles de Carmen Maria Machado.

J'ai découvert cette autrice avec l'OLNI "Dans la maison rêvée". L'expérience ayant été plus que concluante, j'ai voulu lire d'autres écrits de Carmen Maria Machado. Ce recueil bouscule les genres brillamment. Certaines nouvelles relèvent du fantastique, quand d'autres lorgnent vers la science-fiction. La thématique commune est la vie des femmes et les différentes violences qu'elles subissent.

Trois nouvelles ont particulièrement retenues mon attention.

"Le point du mari": Cette femme porte en permanence un ruban vert autour du coup, son mari ne peut pas y toucher quelque soit la situation. Cette nouvelle repose sur un élément fantastique. Quel est ce ruban vert ? Que se passe-t-il si on y touche ? Cet élément n'est qu'un prétexte pour montrer la vie de couple du point de vue d'une femme. La nouvelle est très bien ainsi que sa chute.

"Inventaire": Une femme fait l'inventaire de ses amants, alors qu'une pandémie ravage les États-Unis. Également une très bonne nouvelle. La construction est très bien faite. A première vue, il s'agit tout d'abord d'une énumération des ébats sexuels de la narratrice, mais peu à peu la pandémie prend de l'importance.

"Particulièrement monstrueux": Cette nouvelle prend la forme d'un synopsis de série policière. Tout simplement brillant ! Je n'ai d'abord pas compris où voulait en venir l'autrice, mais à partir du milieu de la nouvelle j'ai commencé à comprendre ses intentions. D'une série policière consensuelle, nous passons peu à peu a quelque chose d'extrêmement malsain. Il s'agit de ma nouvelle préférée du recueil, si vous ne devez en lire qu'une seule, lisez celle-ci. L'expérience vaut le détour.

En conclusion, ce recueil m'a de nouveau fait passé un excellent moment. J'attendrai avec impatience les futures publications de Carmen Maria Machado.
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Je remercie Sonia pour ce conseil de lecture même si l'ensemble m'a ennuyé.
Bien que l'écriture soit soignée et poétique, j'ai été frustrée d'incompréhensions. Malheureusement, la béotienne que je suis, n'a pas tout compris.
Lorsque je lis les billets des autres, je me dis que je dois côtoyer le niveau zéro de l'intelligence. Ou c'est mon manque de culture qui m'a fait défaut.

Néanmoins, je retiens deux nouvelles qui m'ont touché pour des raisons personnelles.

La première nouvelle qui m'a plu, le Point du mari.
Le point du mari, qu'est-ce que c'est ? C'est une suture supplémentaire que le corps médical pratique à l'insu des femmes après un accouchement sous épisiotomie, consistant à resserrer le vagin afin d'accroître le plaisir de l'époux. J'entends beaucoup d'hommes, ces derniers temps, agacés par la révolte des femmes. Cependant, je sais de source sûre que l'on n'oblige aucun homme à se torturer des morceaux de chair pour satisfaire la femme. (J'ai tellement d'autres exemples prouvant que beaucoup d'hommes considèrent la femme comme sa propriété, comme un bien matériel ou un animal domestique, mais on va s'arrêter à l'exemple de la Nouvelle.)
Il était une fois, le corps de la Femme.
Glorifié, frappé, tripoté, violé, bafoué, déchiré, sacralisé, dénigré, dévoré, baisé, amoindrie, charmé, inspiré, annihilé, pilonné, mystifié, rejeté, transformé.
Il faut le cacher sous des kilomètres de tissu. Ou il faut trop le montrer. Il faut l'épiler. Des cheveux longs. Un ventre plat mais des gros seins. Des grosses fesses mais des jambes minces comme un poulet.
Un bout de viande ou une oeuvre d'art?
Il était une fois des morceaux de femmes désassemblées, désarticulées, transformées.

Dans la nouvelle de Carmen Maria Machado, la jeune mère est mise au courant, puisque le praticien fait un clin d'oeil complice à l'époux devant la femme parfaitement consciente, qui concrètement n'a pas voix au chapitre de SON PROPRE CORPS. Pour ceux qui tombent de haut, cette pratique se fait aussi dans les pays occidentaux. Alors certes, on est loin de l'excision et de l'infibulation, mais c'est l'objectif qui est choquant. La femme est autant considérée que le jour où l'on coupe les couilles de son chien. Vous ne demandez pas à votre chien : « tu es d'accord qu'on te castre ? ». Etonnement, ni l'époux, ni le médecin ne demanderont à l'épouse si elle accepte qu'on lui diminue l'entrée de son vagin. N'ayant plus de droit sur son corps.
A partir du moment où le corps de la femme ne lui appartient plus, ou se trouvent les limites ? C'est ainsi que je comprends le message : ne cédez rien, sinon vous finirez par y perdre la tête. le mariage ne doit pas donner l'impression que le corps de la femme appartient au mari. L'épouse doit accompagner son conjoint dans la vie et non être chosifiée à ce qu'il veut au moment où il veut.

La seconde nouvelle qui m'a plu, c'est Huit bouchées. Elle m'a rappelé le roman de Sarai Walker, (in)visible, cette femme en surpoids qui rêve de devenir mince avant de réaliser, grâce à une féministe de renom, que peu importe son corps, beaucoup d'hommes ne verront en elle qu'un bout de viande. (D'ailleurs je vous invite le lire ce roman, même si certains passages sont rébarbatifs, l'auteur tient un sujet très intéressant que malheureusement elle n'exploitera pas à fond, mais qui mérite notre attention).
Dans cette nouvelle, le personnage ne rencontrera pas de féministe pour lui faire changer d'avis. Bien au contraire, elle aura toute une cohorte de femmes la poussant à la mutilation jusqu'au médecin qui va carrément m'indigner avec cette phrase : « Vous allez souffrir. Ce ne sera pas facile. Mais après, vous serez la plus heureuse des femmes. » Devenir la copie conforme de la sororité jusqu'à se perdre. S'illusionner du bonheur sacrifiant le plaisir. C'est presque de la folie. Et c'est clairement ainsi que je vois ce déséquilibre de bouffer huit cuillères par repas pour rester mince. Je dédie d'ailleurs ce billet, à ma fidèle amie que j'admire avec beaucoup d'amours, qui a refusé de se trancher des morceaux de son estomac pour plaire à son fourbe d'époux, avec cette phrase : « j'aime trop manger, j'aime trop vivre ». Refusant ainsi de perdre la tête pour un homme. Je n'ai rien contre la sleeve, il faut juste la faire pour de bonnes raisons (santé, problème physique, mais ne faîtes pas cela pour ressembler à Charlize Theron et surtout pas pour plaire à un homme).

Mention spéciale pour ce passage où la protagoniste rencontre un amas de graisse dans sa cave digne d'un Cronenberg.
N'est-ce pas avec cette nouvelle Sonia que tu as pensé à moi ?





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Si on voulait tenter de décrire cet ouvrage singulier, on pourrait dire qu'il s'agit d'un recueil de nouvelles érotico-féministe lesbien surréaliste d'horreur! Autour des thèmes de la corporalité, de la sexualité et de la violence, s'élaborent des univers énigmatiques et inquiétants. La réécriture d'une série télévisée policière populaire, un genre de pastiche gothique de "La maison hantée" de Shirley Jackson, des références à différentes légendes urbaines connues... Il est entre autres question de relations toxiques, de maternité, de chirurgie et de viol, autant de violences exercées sur le corps des femmes.

La plume de Carmen Maria Machado est saisissante et envoûtante. C'est vraiment bien écrit, plein d'émotions et de détails qui frappent l'imaginaire. le recueil est un peu inégal – notamment parce que le texte le plus long ne m'a pas semblé le plus intéressant –, mais le tout demeure excellent. "Le point du mari" et "L'inventaire" sont les deux nouvelles que j'ai préférées. Une voix et un talent à découvrir!
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Ce recueil de 8 nouvelles que nous fait découvrir Carmen Maria Machado, nous dévoile des histoires qui sortent de l ordinaire.

Il y en a trois que j ai particulièrement apprécié, les autres un peu moins. Un peu moins loufoque ou qui sortent de l'ordinaire.

Des histoires de femme et d homme dont le destin est chamboulé...
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Comme des personnes, il est des lectures pudiques. Elles ne se dévoilent que si on leur accorde intérêt et attention. Ainsi l'on peut choisir de s'en détourner si elles n'ont pas à nos yeux la curiosité qui suscite un effort de notre part. Tout comme à l'inverse l'on peut décider, armé de patience, avide de compréhension face à une oeuvre ou à quelqu'un qui nous paraît fascinant, de semer dans notre petite tête des graines de réflexion et d'imagination. Graines qui pourraient faire croitre de beaux fruits goûteux et de belles feuilles brillantes, faire épanouir et éléver une pensée, lui donner forme et force. le tout parfois auréolé d'admiration pour autrui.
Comme j'admire dorénavant le talent d'autrice de Carmen Maria Machado, après avoir décidé de me donner le temps de relire et de digérer ce premier recueil de nouvelles daté de 2017. Après avoir choisi de ne pas me fermer au premier abord, parceque le sens m'avait échappé pour une bonne part des 8 nouvelles. Ma curiosité et mon admiration tout de même titillée dès la première " le point du mari ", je n'ai pas pu me détourner de ce livre, et passer simplement à autre chose, sans lui donner toute l'attention qu'il mérite.
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La voix est donnée à plusieurs femmes au cours de ces nouvelles. Par des façons détournées, qui surprennent, comme ce ruban vert qu'une femme a noué à son cou, n'autorisant à personne le droit de le toucher, dans une première nouvelle, il est notamment question de la condition féminine de toute une société. Il est question du corps, sa posséssion par autrui, son appropriation par soi-même, son usage comme objet de désir et de plaisir pour les autre et pour soi-même.
Dans une autre nouvelle "A corps perdu" ce corps féminin devient peu à peu transparent, les femmes étant atteintes d'un mal mystérieux qui les fait disparaître. Ici la condition féminine ne détruit pas le corps, elle l'annihile purement. Et les femmes oscillent entre soumission et malice, tristesse et rage. Ma nouvelle favorite, le frisson si difficile à atteindre entre sens et incongru, entre folie et clairvoyance, entre brutalité et finesse.
La condition fémninine, mais aussi les injonctions de la société sur les femmes, sur leur corps, sont aussi très présentes dans la non moins magnifique nouvelle "Huit bouchées". Accepter de se rencontrer soi-même, ou répondre aux injonctions, là est le dilemne de cette femme qui se fait poser un anneau gastrique. Et la réponse de l'autrice est merveilleuse, et m'a beaucoup touchée.
D'une manière différente, cette question de l'acceptation de soi est aussi traitée dans " En résidence ", sous le prisme de l'identité sexuelle. L'homosexualité, le sexe, sont centraux dans les nouvelles de l'autrice dont le discours est aussi engagé que celui de toutes les femmes auxquelles elle donne la parole.
Les scènes et les mots sont crus, choquants tel un tableau expressionniste, avant même d'en saisir le sens. Dans "Pénible en soirée" une femme est aux prises avec un traumatisme dû à une agression. Elle sort à peine de l'hôpital et voudrait reprendre sa vie et sa sexualité en main, mais le traumatisme s'insinue en elle de façon étrange.
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Je ne vais pas égrénner toutes les nouvelles une par une, toutes m'ont saisie, tant par le fond que par la forme. Certaines m'ont laissée de côté malgré mes relectures, comme " Mères ", où réalité et folie sont intriquées, entre peur et désir, entre passion ennivrante et destructrice entre femmes. Un fantasme né de la question de maternité dans leur couple semble les pousser à la rutpture. "Particulièrement monstreux" a fait baisser ma note, car je n'ai pas eu le courage de la relire. En plus d'y être paticulièrement hermétique pour ma part, je l'ai trouvée particulièrement longue.
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Toujours est-il que, malgré ce de quoi je suis hélas passée à côté, et c'est une frustration et non une critique, je suis conquise.
Le style de Machado a le tranchant d'une hache, de part sa crudité, son animalité, et la finesse d'un cristal, de part les émotions et la réflexion qu'il suscite. Les femmes que j'ai croisées ont la force de toutes celles qu'elles représentent en nombre, et l'évanescence de leurs fragilités. Leur pluralité élève haut la voix de toutes les femmes.
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Mention spéciale à la couverture des éditions de l'Olivier. Oui, nous célébrons notre corps, notre pensée, notre liberté souvent entravée et tout un tas d'autres célébrations dans ce titre si bien choisi. L'image, ce dos de femme désirable à la nuque dévoilée, fait écho notamment à la première nouvelle de part la couleur verte qui parait à son cou, comme un ruban, par transparence avec le fond vert de la couverture. Une figure féminine en noir et blanc qui contraste sur un fond vert fluo, qui correspond bien à une charge acide, trash et incongrue qui ne manque pas d'interpeller durablement.
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Ebouriffant et inventif ce recueil de huit nouvelles qui célèbre d'une façon fascinante et fantastique le corps de la femme ! Une femme sensuelle, sauvage, espiègle, inquiétante, troublante, fragile. Une femme faite d'ombres et de lumières, dont les expériences la confrontent à la violence, réelle ou symbolique et, consécutivement, à la perte d'identité.

La première des nouvelles, intitulée « le point du mari », a ma préférence tant son étrangeté est troublante. Une femme porte en permanence un ruban vert autour du cou et refuse que son mari le touche, l'effleure même. Ce ruban reste un mystère entre eux. Elle ne l'a jamais enlevé, elle dort avec, mange avec, fait l'amour avec. Il fait partie d'elle. On la suit dans sa vie de jeune femme, puis dans son couple avec son mari où le sexe tient une place prépondérante, nous assistons à la naissance de leur fils et la voyons soulagée à la vue de ce nourrisson sans ruban, vu que c'est un garçon.
Qu'est-ce que ce ruban jamais délié ? Seule la toute fin nous donnera la réponse. En attendant cette femme nous raconte des histoires, des contes qui sont autant de petites fictions marquantes qui font froid dans le dos…Soulignons l'inventivité de Carmen Maria Machado qui se permet de nous donner des conseils sur la façon de lire sa nouvelle, elle nous prend de temps à autre en aparté, dans des passages entre parenthèses troublants, voyez plutôt :

« Pas de ruban. Un garçon. Je me mets à pleurer et je presse contre ma poitrine l'enfant dépourvu de signe. L'infirmière me montre comment l'allaiter et je suis si heureuse de le sentir boire, de toucher ses doigts recroquevillés, comme autant de petites virgules. (Si vous lisez cette histoire à voix haute, donnez aux auditeurs un couteau de cuisine et demandez-leur de couper le fin morceau de peau entre votre index et votre pouce. Ensuite, remerciez-les.) »

Dans la seconde nouvelle, « Inventaire », une femme fait l'inventaire de ses amants et de ses amantes, nous livre des détails intimes, des expériences sexuelles mais aussi une belle sensualité, catalogue saugrenu alors qu'un fléau plonge les Etats-Unis vers l'angoisse et l'apocalypse. Un érotisme qui semble totalement en décalage avec ce que l'humanité est en train de vivre, un érotisme comme une bouée à laquelle se raccrocher lorsque la fin du monde semble éminente, une vision apocalyptique hors norme.

« Une femme. Beaucoup plus âgée que moi. Elle a médité trois jours sur une dune en attendant de pouvoir entrer. J'ai examiné ses yeux, ils avaient la couleur verte des verres de mer. Ses cheveux grisonnaient aux temps et son rire dévalait en sautillant les marches de mon coeur ».

La troisième nouvelle, « Mères », nous offre des pensées de mères, des pensées ancestrales, viscérales, des pensées inquiétantes aussi, cette nouvelle m'a remuée plus que les autres tant l'auteure nous entraine à la lisière de la folie et des pensées inavouables à jamais refoulées. La narratrice est en couple avec une femme plus âgée qu'elle, Bud, au charme hypnotique. Leur épanouissement est d'autant plus libéré qu'elles n'ont pas à réfléchir au fait d'avoir un enfant de par la nature de leur relation. Comme si elles avaient été exaucées ou punies d'avoir contournée ainsi ce rôle de mère, poids fantôme qui pèse sur toute femme, rôle avec lequel elle jouait entre elles, partagées entre le fantasme d'avoir un enfant à elles et le soulagement de ne pas à avoir à assumer la parentalité, enfant il y aura. Un nourrisson, une petite fille prénommée Mara, est amené à la narratrice par Bud avant de la quitter. La voilà seule avec ce bébé, seule avec ce nouveau rôle de mère. Seule avec ces pensées, avec la confusion du présent, du passé, du futur, seule avec sa folie et ses rêves.

« La tête du bébé me hante parce qu'elle tient du fruit gâté. Je m'en rends compte maintenant, au milieu du désert infini de sons. Elle est comme cette partie molle de la pêche dans laquelle vous pouvez enfoncer le pouce, sans trop poser de questions, ni demander si ça va. Je ne vais pas le faire, mais j'en ai envie, une envie si forte que je le dépose. Elle hurle de plus belle. Je la reprends et l'appuie contre moi en murmurant « je t'aime ma petite, je ne vais pas te faire de mal », or la première affirmation est un mensonge et la seconde pourrait l'être également. Je devrais éprouver le besoin de la protéger et je ne pense qu'à cette région molle, cet endroit où je lui ferais du mal si j'essayais, si je voulais lui faire du mal ».

La quatrième nouvelle, centrale, est une expérience de littérature. Je m'y suis reprise à deux fois tant je suis passée à côté lors de ma première lecture, et j'ai bien fait ! Cette nouvelle s'appelle « Particulièrement monstrueux ». Elle est écrite comme une série télé comprenant douze parties comme douze saisons. Des scripts, des pitchs, comprenant chacun un titre. Nous suivons un couple, Benson et Stabler, deux policiers, un homme et une femme. Des enquêtes tordues, sordides et nous comprenons peu à peu que les deux policiers croisent leur double maléfique. Ebouriffant et saisissant d'inventivité, je suis restée bouche bée lorsque j'ai compris où l'auteure voulait nous emmener. Dire que lors d'une première lecture, je l'ai sauté cette nouvelle alors qu'elle est centrale et éblouissante, elle demande juste d'accepter de se laisser porter.

La nouvelle suivante, « A corps perdu » nous montre à voir un fléau qui rend peu à peu invisible le corps des femmes, on voit littéralement peu à peu à travers elle. Des fantômes, des spectres, ces femmes évanescentes, ni vivantes ni mortes, dont la société se méfie. Une ambiance teintée de noirceur, de misère et de solitude rend cette nouvelle particulièrement sombre et triste. Elle met à l'honneur un couple amoureux dont l'une des deux femmes s'efface. Une nouvelle qui m'a touchée.

« Je m'allonge sur Petra, j'embrasse sa lèvre supérieure. J'embrasse sa gorge. Ma main plonge entre ses cuisses. Autour de nous, les minutes trottinent sur le sol comme des fourmis et dévalent dans le ruisseau en crue, emportées à jamais ».

Dans « Huit bouchées », la femme est victime du diktat de la minceur et va recourir, pour éliminer ses formes, à la chirurgie bariatrique. Une autre forme d'effacement de soi. Avec cet anneau en elle, elle pourra devenir enfin aussi minces que ses soeurs et ne plus avoir à subir le regard des autres, et en premier lieu celui de sa fille. Mais que reste-t-il d'elle ? Est-ce vraiment elle, cette nouvelle femme, mince ? Ses plis et replis ne constituaient-ils pas son essence, sa beauté ? Jusqu'où la transformation doit-elle allée ? N'est-ce pas une quête sans fin ?

« Est-ce que je serai un jour transformée au passé, ou toujours en train de me transformer, en mieux, jusqu'à ma mort ? ».

Dans « En résidence » nous découvrons une communauté d'artistes dans le lieu même où, jeune, notre narratrice faisait des camps scouts. Là où la découverte de son corps et de son penchant pour les femmes fut moquée, jugée. Là où sa vie est devenue un enfer, devenue esclave à l'intérieur même d'un conte cruel, piégé dans sa propre prison mentale. Tout au long de cette nouvelle, des signes discrets nous oppressent de par leur étrangeté et d'où l'inquiétude sourde discrètement.

« Un large escalier menait à la porte d'entrée, si large que les rampes étaient inaccessibles depuis le centre. Je suis montée par la droite, la main courant sur la rampe jusqu'à ce qu'une écharde se plante dans ma paume. La main ouverte, je l'ai examinée entre la ligne de coeur et la ligne de tête. J'ai pincé le bois visible et j'ai tiré ; ma main s'est contractée autour de la blessure qui ne saignait pas ».

La dernière nouvelle « Pénible en soirée » évoque la pénibilité, celle de devoir cacher les bleus de son mari, celle d'entendre des voix dissonantes en plein films érotiques rappelant des horreurs. le corps devient sale, à la fois vulgaire et excitant, sensuel et langoureux. le corps de la femme se fait objet.

Huit nouvelles qui ne laissent pas indifférent, dans lesquelles l'auteure américaine explore toutes les sensations qu'elles soient tactiles, visuelles, odorantes, gustatives, sexuelles. Un livre sensuel et inquiétant dans lequel le corps de la femme est porté à son incandescence. Des femmes qui ont atteint une certaine liberté au prix de violence, de solitude, de traumatismes, de chirurgie, d'effacement. Un récit dans lequel le féminisme s'entremêle au fantastique voire à l'horreur. Avec cependant quelques douces lumières qui nous caressent de leur chaleur, tels des battements de cil gracieux.

« Je crois à un monde où l'impossible se réalise. Où l'amour surpasse la violence, la neutralise comme si elle n'avait jamais existé, ou la transforme en quelque chose de nouveau, de plus beau. Où l'amour peut l'emporter. »

Pas étonnant que ce premier recueil de nouvelles ait été finaliste du National Book Award de fiction 2017 et ait reçu de nombreux prix dont le prix John Leonard 2017 décerné par le National Book Critics Circle. Pas étonnant. Je ne souhaite qu'une chose : découvrir d'autres écrits de Carmen Maria Machado.
Merci chère amie de me l'avoir offert, j'ai pensé à toi en parcourant ces pages. Elles sont à ton image. Iconoclaste, authentique et touchante. Riche et belle de ses différences.
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Je crois que ce recueil était un peu trop moderne pour moi, au niveau; je ne sais pas, de la construction des nouvelles. Je voulais les aimer, si fort, et il y en a même deux pour lesquelles j'y suis arrivée, l'inventaire et à corps perdu, mais les autres..... j'ai horreur de ce genre d'histoires où rien n'a n'y queue ni tête, et une écriture soignée, talentueuse, que j'ai admiré chez l'auteur, ne suffit pas à contrebalancer le reste.
C'est dommage parce que toutes ont des thèmes très intéressants et des protagonistes assez originales. Mais les deux nouvelles qui m'ont plu, elles je les recommande avec chaleur!
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Une lecture ébouriffante !
S'il y a une chose que j'apprécie tout particulièrement, c'est de me faire surprendre par une forme narrative. Et là Carmen Maria Machado ne m'a pas seulement eu une fois, mais deux ! Et en un seul recueil !
"Inventaire" et "Particulièrement monstrueux" sont les deux nouvelles en question. Si la première citée est trop courte pour que j'en dévoile le délicieux procédé, la deuxième se sert ni plus ni moins des titres des 272 épisodes d'une fameuse série télé pour déployer une histoire fantastique, cryptique, piégeuse, inquiétante, j'en passe et des meilleurs !
Au-delà de ces deux pépites, le reste oscille entre le superbe et le franchement bon. Et toujours farouchement féministe.
Si toutes les nouvelles du recueil ne sont pas totalement fantastiques (en terme de genre), l'ensemble pourra ravir aussi bien les amateur.trice.s du genre que les allergiques.
C'est formidable, c'est à lire !
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