Non, elle ne ressemblait pas à celle-de-son-souvenir, malgré les traits communs qui, lors de leur première rencontre, l’avaient tant bouleversé. Pour prolonger l’illusion, il eût fallu qu’elle restât immobile comme une toile dans son cadre. Dès qu’on la voyait vivre, s’agiter, voltiger partout comme un papillon dans un jardin en fleurs, tout était différent et l’image qu’il aurait voulu retenir s’enfuyait.
L’autre était belle, hiératique, toujours grave et mesurée. C’était un être profond et sûr, c’était un être fascinant, inoubliable, auprès de qui tous les autres n’étaient plus que des fantômes. Quant à celle-ci, elle n’était qu’une enfant, une enfant charmante et folle, bien pâle réplique du visage qu’il aimait.
Solange s’avoua qu’il devait apprécier d’autres sourires… De plus jeunes sourires qui ne lui faisaient certainement pas défaut.
Elle était une cliente charmante mais un peu mûre et elle devait la courtoisie pleine d’égards des officiers aux hautes recommandations dont elle disposait.
Elle soupira. Elle portait avec grâce ses cinquante ans et ses cheveux noirs que, par chance, aucun fil d’argent ne trahissait. Ses yeux bleus, un peu meurtris gardaient ce charme original qui lui avait valu maints succès au cours d’une carrière déjà longue.
Il n’y a que ceux qui ne font pas de romans qui s’imaginent que le romanesque est seulement dans les livres. Les esprits terre à terre. Et par « ceux qui font des romans » je n’entends pas seulement les romanciers de métier… car beaucoup de gens imaginent des histoires et des aventures, s’ils ne savent pas toujours les écrire. Que de talents ne seront jamais connus faute de moyens pour s’exprimer ! Dans presque toutes les existences, il y a des romans, vous savez…
Elle s’était très vite familiarisée avec tous les rouages de ce petit royaume où l’invisible baguette d’une fée compatissante l’avait transportée à l’heure où le désespoir était près de l’envahir.
Par certains côtés, il lui rappelait le beau pays de son enfance où elle avait régné, indépendante souveraine, gâtée et choyée par une cour empressée à la satisfaire.
A vrai dire, ici, elle avait dû conquérir peu à peu ses privilèges.
Les jolies femmes ne manquaient pas sur ce bateau, non seulement des Mme Berval, – belles sur le retour – mais des jeunes, des ravissantes, d’exquises poupées de luxe… Des Américaines longues, minces, nerveuses comme des bêtes sélectionnées. Des Françaises fraîches, spirituelles et coquettes… Des Péruviennes exubérantes… Des Argentines aux merveilleux bijoux, aux chevelures sombres, aux prunelles éclatantes.