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Citations sur Le colonel ne dort pas (65)

Le général fait résonner ses bottes sur le marbre. Le buste décapité accroche son regard, il est terrible ce buste, le général ne s'en était encore jamais rendu compte, c'est comme une statue du commandeur, une présence tutélaire menaçante, comme pour rappeler à tous que les hommes, les puissants, les régimes passent, ne font que passer, et chuter, et que ce qui lui est advenu peut advenir à tous. Que lui-même chutera un jour, tôt ou tard, qu'il ne sera un jour pas plus vivant que ce socle de marbre sans tête, voilà ce que semble lui dire le buste décapité que le général regarde fixement il ne peut en détourner les yeux il est comme aimanté, comme si une étrange magie, magie noire magie ocre magie mandarine pistil de safran magie grise monochrome magie couleur de pluie l'empêchait d'arracher son regard de tourner les talons. Et il lui semble que le buste grandit, grandit, déborde de la niche, une étrange déformation de la matière, le marbre devient malléable et reste dur comme la pierre qu'il est, et le buste se répand hors de la niche et dans la pièce il envahit tout et alors qu'il s'approche du général qu'il s'apprête à le broyer avec sa cruauté de pierre alors le général parvient à rompre le sortilège et arrache son regard, il se précipite hors du hall désert et claque derrière lui la porte du grand bureau.
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Qu'est-ce que vous croyez
j'aurais aimé moi aussi
aimé
être heureux
avoir la sensation de
vivre
et mon de traverser l'existence comme
un champ de ruines
des ruines j'en ai trop vu trop
provoqué
si bien que mon âme s'est mise à leur ressembler
vous me direz cela vous est égal
mon malheur je l'ai cherché
et il n'est écrit nulle part que les victimes doivent avoir
de la sympathie

pour leur bourreau

j'ai depuis longtemps perdu toute prétention
à la sympathie
à l'amitié à
l'amour
à la pitié
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Vous me direz
il faut bien distinguer
entre tuer à la guerre
et tuer pour tuer
c'est en tout cas ce qu'on nous disait à l'époque
les morts de guerre ne sont pas des crimes
soldats
nous disait-on
puisque vous avez tué pour une cause
noble
pour la défense de la Nation
pour la Victoire
et dans leur voix tu sentais la majuscule
alors que vie n'en prenait pas
si nous ne tuons pas si vous ne tuez pas
soldats
disaient-ils
l'ennemi nous envahira
nous annihilera
nous détruira
et avec nous notre pays nos enfants
nos femmes
dont les corps soldats n'oubliez pas les corps
vous appartiennent

à vous seuls
[..]

voyons soldat
il faut bien que quelqu'un tue pour éviter
d'être tués
pour sauvegarder la Nation
que quelqu'un se tape le boulot
mette les mains
dans
le cambouis dans le sang les entrailles
dans la merde
et vous voudriez après
vous voudriez
qu'on se remette en question
impossible soldat
impossible
suspect
après la guerre après les Hommes-poissons les
marécages
il n'y avait que le silence
et les médailles les décorations accrochées sur
les poitrines que les âmes
avaient désertées
du clinquant du doré sur une poitrine vide
ça fait joli mais ça sonne creux
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Récemment l'ordonnance s'est rendu compte qu'il ne parvenait pas à saisir le visage du colonel. Bien sûr, il le connaît, le reconnaît, il sait immédiatement que c'est lui (garde-à-vous) mais il lui est impossible, après, de revoir ses traits, comme s'ils se dérobaient, comme s'ils étaient faits de fumée, Comme dans ces rêves - car l'ordonnance rêve encore - où des visages d'hommes lui échappent bien qu'il sache qui ils sont, avec cette certitude absurde et absolue propre au songe. Encore une pensée parasite, se dit-il. Mais il ne peut pas s'empêcher de craindre que le colonel soit, quelque part, contagieux. Ces choses-là ne se disent pas, encore moins à l'armée, essayez donc d'expliquer à votre supérieur qu'un gradé est en train de flouter les êtres et les choses autour de lui, de rendre le monde brumeux, de ramollir les opérations, Un coup à finir au mitard. Ou en première ligne. Ou pire, dans le cercle de lumière.
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[...] Ordre de Mobilisation ça disait en lettres noires grasses avec les deux majuscules, l'encre avait un peu bavé mais tu sentais quand même le poids de la Nation qui t'appelait et là encore tu sentais la majuscule et il se rappelle avoir eu la grande sensation qu'une main invisible et géante venait de mettre sa vie en pause stop ça suffit, assez vécu, la vie on verra après, la vie c'est pour plus tard si tu survis si tu reviens, pour plus tard les filles du village le soleil Maman la maison le vent tiède, plus tard qu'est-ce que ça veut dire plus tard, ça ne veut rien dire.
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mais après vous les Hommes-poissons
qu'avais-je à perdre
puisque le sort était déjà jeté
puisque vous alliez revenir me hanter
blanchâtres et gonflés d'eau vaseuse
c'est ainsi que je me rappelle de vous
que vous êtes restés derrière mes paupières
dans ma tête
si je m'arrachais les paupières et les yeux vous seriez

encore là
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Le colonel pense souvent que la nature humaine se révèle dans ces instants de nudité absolue, quand l'homme est précisément dépouillé de toutes les minces couches de vernis - appelez ça l'éducation, ou la sociabilité, ou l'amour, ou l'amitié - qui recouvrent sa nature profonde, homo sanguinolis, sa nature animale, viscérale, quand l'homme n'est plus qu'une masse organique. Arrachez la peau d'un homme et vous aurez une forme sanguinolente, vermeille, une forme cochenille écrasée pas si différente d'un chien écorché, se dit parfois le colonel. Pourtant, il est bien forcé de l'admettre, il y a souvent des surprises dans ce qui précède le dépouillement ultime. Le lâche se révèle le brave s'effondre et donne tous les siens, certains pleurent et supplient, d'autres restent muets jusqu'au bout. Ceux-là sont plus rares et le colonel éprouve pour eux une sorte de respect.
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Après toi
mon premier mort
mon premier bourreau
le séisme fut lent à venir
c'est comme la surface d'un lac gelé
il faut que la faille vienne du bord
que ça se craquelle en un point
et quand vous la remarquez c'est déjà trop tard
la faille est trop grande
elle se répand elle s'allonge elle envahit
tout l'espace
et sous elle le vide l'eau glacée
il en va de même pour
les fissures de l'âme
après toi mon premier mort mort dans la boue
dans cette guerre affreuse
et absurde cette guerre dont je n'ai toujours pas

des années après

compris pourquoi nous l'avions faite
même s'il paraît que nous avons gagné
que cela fut
une grande victoire pour la
nation
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[...]
j'ai tiré presque sans le vouloir
ton fusil enrayé en face de moi
tu ne t'es même pas acharné sur le mécanisme
comme font certains
les doigts fous accrochés au métal
il avait plu est-ce pour cela
que tu n'as pas pu tirer
moi mon arme était sèche
mes mains n'ont pas tremblé j'ai tiré comme
à l'entraînement
comme nous l'apprenaient ces hommes durs
en nous traitant de sous-hommes de moins que rien
tu m'as fixé quand la balle t'a touché
au-dessus de l'estomac
visez le ventre disaient-ils à l'entraînement
toi tes yeux fixes tes yeux comme étonnés
quand tu es tombé
à genoux d'abord puis à la renverse
autour les canons grondaient toujours
c'était la guerre
ça ne compte pas diraient certains
tu ne comptes pas
c'était la guerre
tuer ou être tué
la loi de la guerre
oui mais voilà depuis quelque temps toi aussi
tu reviens
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À moi le langage ténébreux des suppliciés sur la chaise électrique
le vocabulaire ultime des guillotinés l'existence est un œil crevé
Que l'on m'entende bien un œil qu'on crève à
tout instant
le harakiri sans fin
J'enrage à voir le calme idiot
qui accueille mes cris
Aragon
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