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Citations sur Le colonel ne dort pas (65)

un écusson de tissu de
rien du tout
voilà à quoi tient l'ennemi
au loin tout près les canons crachaient leur vacarme
de mort métallique
il y avait déjà plusieurs jours que je ne l'entendais
plus vraiment
crois-moi si c'était à refaire j'eûs préféré
que ce soit toi
qui tires
que tu me tues
plutôt que de mourir lentement de ne pas en finir

de mourir
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Les lampadaires, par exemple, qui se contentent d'éclairer en temps de paix, font d'excellents gibets. Et comme en général ils n'éclairent plus rien (n'ont plus rien à éclairer), cette nouvelle fonction se révèle très pratique. Même si, le colonel le sait d'expérience, on peut aussi très bien pendre un homme à un lampadaire en fonctionnement.
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Et le colonel coupe, taille, sectionne des heures durant et en face de lui le regard apaisé de l’homme ne faiblit pas, même quand il ferme les yeux sous la douleur ou à travers le ruissellement rouge du sang toujours le regard revient comme aimanté et toujours sans haine et à mesure que les heures passent augmentent l’effroi et la colère du colonel, et à chaque minute le lynx de velours enfonce un peu plus ses griffes de métal dans la poitrine du colonel qui coupe, taille, sectionne.
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le doute est l’ennemi du soldat
haute trahison
voyons soldat
il faut bien que quelqu’un tue pour éviter
d’être tués
pour sauvegarder la Nation
que quelqu’un se tape le sale boulot
mette les mains
dans
le cambouis dans la sang les entrailles
dans la merde
et vous voudriez après
vous voudriez
qu’on se remette en question
impossible soldat
impossible
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Incipit :
Ô vous tous
puisqu’il faut que je m’adresse à vous
que je ne peux plus vous ignorer
puisque vous êtes devenus les sombres seigneurs
de mes nuits
puisque vos ombre et vos cris
résonnent dans mes ténèbres
puisque les Homme-poissons
ont pris possession de mes rêves
vous tous je m’adresse à vous
mes victimes mes bourreaux
je vous ai tués tous
chacun de vous il y a dix ans ou

dix jours

ou ce matin

et depuis je suis condamné à continuer
de vous tuer
chaque fois à chaque nouveau mort
j’augmente ma peine ma

condamnation sans appel
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Je redoute la nuit comme la proie le chasseur
chaque soir je me tourne vers le soleil
dans l'espoir que ce soir-là il ne tombe pas

à l'horizon
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En cette période de reconquête, rares sont ceux qui osent réclamer un changement, protester. Les fous qui s'y risquent ne durent pas longtemps et l'ordonnance est, au fond, un lâche qui tient à la vie. Même si de plus en plus, il a l'impression d'avoir déjà trop vécu. p. 55
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Le colonel n’a pas toujours été un spécialiste, comme on le désigne maintenant dans certains milieux autorisés avec un mélange de respect, d’effroi, et aussi un peu de répugnance. Longtemps il fut un militaire comme les autres, peut-être seulement plus efficace, plus rapide à la réaction, plus malin. Pendant la Longue Guerre, ses chefs l’appréciaient pour ces qualités-là. Lui ne savait pas encore qu’il était pris dans un engrenage qui ne le lâcherait pas, qui le broierait à mesure que lui-même broierait les autres, tous les autres, tous ceux qu’on lui ordonnerait de broyer. C’est cela, peut-être, qui fit vraiment la différence. Demandez à un militaire de tirer sur une cible, il le fait, c’est le métier. Mais certains ont une limite. Pour beaucoup, pendant Longue Guerre, ce furent les Hommes-poissons. Les soldats reculaient devant cette tâche-là avec de grands yeux effarés. Le colonel a lui aussi eu les yeux effarés. Mais il n’a jamais reculé. p. 38
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(Les premières pages du livre)
Ô vous tous
puisqu’il faut que je m’adresse à vous
que je ne peux plus vous ignorer
puisque vous êtes devenus les sombres seigneurs
de mes nuits
puisque vos ombres et vos cris
résonnent dans mes ténèbres
puisque les Hommes-poissons
ont pris possession de mes rêves
vous tous je m’adresse à vous
mes victimes mes bourreaux
je vous ai tués tous
chacun de vous il y a dix ans ou

dix jours

ou ce matin

et depuis je suis condamné à continuer
de vous tuer
chaque fois à chaque nouveau mort
j’augmente ma peine ma

condamnation sans appel

perpétuité
perpétuité
comme vous les Hommes-poissons
je vous revois flotter
dans l’eau grisâtre
flotter
vous revenez depuis peupler mes cauchemars
vous avancez en écartant les roseaux
vous tendez vers moi vos membres décharnés
gonflés par les eaux
vous tendez vos mains et c’est toujours alors
toujours que
je vous tue

à nouveau

tuer les morts vous tuer encore vous mes victimes
puisque c’est la seule voie puisque je vous ai déjà
tués
puisque bientôt vous me tuerez

Le colonel arrive un matin froid et ce jour-là il commence à pleuvoir. C’est cette époque de l’année où l’univers se fond en monochrome. Gris le ciel bas, gris les hommes, grises la Ville et les ruines, gris le grand fleuve à la course lente. Le colonel arrive un matin et semble émerger de la brume, il est lui-même si gris qu’on croirait un amas de particules décolorées, de cendres, comme s’il avait été enfanté par ce monde privé de soleil. On dirait un fantôme, pense le planton de garde en le voyant descendre de la jeep. Et l’ordonnance se met au garde-à-vous et se dit que le colonel ressemble à ces hommes qui n’ont plus de lumière au fond des yeux et qu’il croise parfois depuis qu’il est à la guerre. Seul son béret rouge rappelle que les couleurs n’ont pas disparu.

La grande maison réquisitionnée qui sert désormais de centre de commandement et d’habitation pour les gradés se dresse en haut de la colline. C’est un ancien palais, du temps de l’ancien dictateur, sous l’ancien régime. On y reconnaît le goût pour ce qui brille du plafond au sol, le marbre les dorures les colonnes qui se voudraient ioniques des sièges immenses au capitonnage dur comme du béton utilisés pour des réceptions où ils assurent un inconfort durable aux invités qui, selon l’étiquette, ne doivent rien en laisser paraître. Et dans une niche du hall d’entrée, le buste décapité – puisqu’on ne pouvait pas le déplacer et qu’il était à l’effigie de l’ancien dictateur, celui-là même qu’à l’époque du buste personne n’appelait dictateur.

Le colonel hésite sur le seuil du Palais. Est-il déjà venu ici? Il a servi loyalement l’ancien régime, il a connu d’éphémères honneurs dans des lieux semblables, à l’époque où les bustes étaient intacts dans toutes les niches de tous les palais du pays. Il hésite, comme s’il répugnait à souiller le marbre de ses chaussures gorgées de boue liquide, presque crémeuse, cette boue glissante et claire dans laquelle patauge le monde, dehors. Peut-être un reste de timidité (de déférence?) à l’égard de l’ancien dictateur auquel il fut loyal en son temps, comme beaucoup ici, même si tous font mine de l’ignorer et s’emploient à ne jamais parler de cette époque. Puis il carre les épaules, reprends-toi!, et suit l’ordonnance jusque dans le grand bureau où siège le général en charge des troupes du nord et de la Reconquête.

Trônant derrière sa large table d’acajou, le général est occupé à se couper les poils du nez à l’aide de petits ciseaux argentés et d’un miroir à main, et le colonel pense furtivement que ce miroir de dame provient peut-être d’une chambre à coucher de ce même Palais, une relique des puissants de l’ancien régime.
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On murmure derrière moi que je ne suis
qu'une ombre grise
c'est vrai
mais je m'en accommode
j'ai renoncé au monde des vivants
je n'appartiens pas encore à celui des morts
je suis du monde des ombres
et vous êtes mon peuple
vous mes ombres
mes visiteurs du soir
mon peuple depuis si longtemps
c'était après la Longue Guerre
je suis passé à l'ombre
déjà vous les Hommes-poissons et toi
mon premier mort
à la renverse
et vous autres tous ceux qui avez suivi
dans cette guerre abominable
déjà vous étiez mon peuple caché
même si à l'époque il m'arrivait parfois encore
de dormir
de vous échapper
quelques heures
c'est déjà ça de pris
quelques heures de liberté
d'oubli
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