AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le colonel ne dort pas (65)

après les Hommes poissons mon lit resta vide
personne à qui
chuchoter
peut-être qu'à cette époque vous mes ombres étiez
déjà trop fortes trop envahissantes
et impérieuses ombres de métal
de pierre
vous n'auriez laissé personne prendre votre place
bien au chaud au creux du lit
c'est après vous les Hommes-poissons
après la Longue Guerre
qu'on me demanda de tuer différemment
couper tailler sectionner rompre trancher
briser
arracher
enfin tous ces synonymes
qui sont devenus mon métier ma

spécialité

bien sûr on ne me les formula pas ainsi
au départ
non
c'était plus subtil que ça
sécuriser
protéger
et toujours la cause la noble cause noble forcément
le capitaine qui me convoqua utilisa ces mots-là
et il me souriait
on a besoin d'hommes comme vous d'hommes
de votre trempe soldat
pour consolider les acquis de la Victoire
il me souriait
quand j'y pense il me semble qu'il était lui aussi
un peu gris
Commenter  J’apprécie          20
Le colonel a oublié le moment exact où il a cessé de dormir. Après quel mort, quel interrogatoire, quelle bataille, quel corps qui n’en était plus un. C’est venu peu à peu lui semble-t-il.
Commenter  J’apprécie          20
Le général est si profondément enfoui dans ses réflexions et sa peur et l’attente du marbre qu’il n’a pas remarqué le silence qui règne sur la Ville depuis plusieurs jours. Les bombardements ont pratiquement cessé, comme si les soldats n’avaient plus le cœur à se battre. Personne n’en a informé le général, pas même son subalterne de moins en moins zélé. Seul persiste, bruissement de fond, le murmure de la pluie qui tombe sans discontinuer et semble dissoudre les hommes et les armes dans un brouillard sans forme et sans volonté.
Commenter  J’apprécie          20
Le colonel arrive un matin froid et ce jour-là il commence à pleuvoir. C’est cette époque de l’année où l’univers se fond en monochrome. Gris le ciel bas, gris les hommes, grise la Ville et les ruines, gris le grand fleuve à la course lente. Le colonel arrive un matin et semble émerger de la brume, il est lui-même si gris qu’on croirait un amas de particules décolorées, de cendres, comme s’il avait été enfanté par ce monde privé de soleil. On dirait un fantôme, pense le planton de garde en le voyant descendre de la jeep. Et l’ordonnance se met au garde-à-vous et se dit que le colonel ressemble à ces hommes qui n’ont plus de lumière au fond des yeux et qu’il croise parfois depuis qu’il est à la guerre. Seul son béret rouge rappelle que les couleurs n’ont pas disparu.
Commenter  J’apprécie          20
Si j’étais un homme qui dort , je penserai à coup sûr qu’il s’agit d’un rêve
Commenter  J’apprécie          20
les morts de guerre ne sont pas des crimes
soldats
nous disait-on
puisque vous avez tué pour une cause
noble
pour la défense de la Nation
pour la Victoire
et dans leur voix tu sentais la majuscule
alors que vie n’en prenait pas
Commenter  J’apprécie          10
Il survécut au changement de régime, aux purges, aux procès, parce qu'on ne pouvait pas se passer de son talent, et peut-être aussi parce qu'il n'avait jamais été un homme de cour, qu'il était déjà, depuis longtemps, gris et pour ainsi dire invisible, se fondant presque avec le paysage.
(Qui se charge de limoger une ombre ?)
Commenter  J’apprécie          10
un écusson de tissu de
rien du tout
voilà à quoi tient l'ennemi
Commenter  J’apprécie          10
Mais il n'est pas mort. Il n'est pas mort et il en a été presque déçu. Ses martyrs ses bourreaux ne le laissent pas s'en tirer aussi facilement, après tout la mort en elle-même ne dure qu'un instant une infime seconde où elle monte dans le corps et chasse la vie et la vie s'échappe ce qui est long ce qui est interminable c'est tout ce qui précède c'est la torture comme il le sait lui-même puisqu'il existe un art qui consiste à ne pas faire mourir trop tôt, puisqu'une fois qu'on est mort tout s'arrête, puisqu'on ne peut plus faire souffrir un cadavre.
Commenter  J’apprécie          10
qui d'entre vous viendra me tourmenter cette nuit ?
toi, l'Homme poisson
le premier
le premier homme que j'ai fait poisson
dans cette eau
empoisonnée
dans cette eau devenue mort
toi, l'homme dont j'ai oublié le nom
mais pas la vision du corps défait
désarticulé
un corps quand il n'est plus un corps
ça ne ressemble plus à rien
ça en devient presque
ridicule
grotesque
un corps qui n'est plus un corps savez-vous
il faut un effort pour se rappeler que ce fut
un être humain
une personne
avec des sentiments
des rêves
des
drames
une peau qui était une peau et non

une longue écorchure

plaie à vif plaie à sang
difficile à croire ce qu'un homme peut souffrir vous ne le croiriez pas
ce qu'il peut endurer de douleur

de souffrance d'horreur de

déchirures

je ne le croyais pas non plus maintenant je le crois
je le sais je l'ai vu
de première main
de premier œil
de première main qui guide la main du bourreau du
tortionnaire ou
qui
parfois prend les choses en main
on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même
cela s'applique aussi à la torture
à l'art de l'interrogatoire
briser un homme
le torturer
le rendre fou
le défaire de son corps
de sa peau
de ses membres
de ses dents
de ses ongles
c'est un art savez-vous
je suis moi resté simple artisan mais j'ai connu
des esthètes
de ce processus
qui coupent en musique
qui ne vomissent pas le soir
dont les yeux brillent quand ils arrachent
d'autres yeux
j'en ai connu mais je n'en fus pas
simple artisan jamais esthète
même si pour toi l'Homme au corps désarticulé

défait déconstruit

au fond

ça n'a pas changé grand-chose

et c'est toi maintenant qui me tortures
et qui me brises
toi et tes semblables mes victimes vous avez
chaque nuit
chaque soir
cela en commun
même si tous ne sont pas morts
de la même façon
j'ai un répertoire fourni
le carnet noir de mon âme
que voulez-vous
demandez
quelle mort quelle victime
à qui dois-je m'adresser en premier
Commenter  J’apprécie          10






    Lecteurs (650) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

    Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

    Paris
    Marseille
    Bruxelles
    Londres

    10 questions
    1225 lecteurs ont répondu
    Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

    {* *}