Dans un contexte très précis, celui de l'insurrection de Shanghai par les communistes et les nationalistes de Tchang Kaï-chek et du Kuomintang (puis de sa trahison envers les mêmes communistes) contre le gouvernement chinois, l'auteur exerce une profonde interrogation existentielle sur des hommes se battant pour leurs idéaux et contre leurs angoisses intérieurs. Divers personnages sont au coeur du récit : Gisors, un vieil intellectuel communiste accro à l'opium, son fils idéaliste Kyo qui dirige la révolution en question, May, l'épouse médecin de Kyo qui renvoie la part vivante et féminine au combat, Tchen, un disciple de Gisors dont son engagement devient une lutte mystique et suicidaire, Katow un activiste rescapé de la révolution russe, Hemmelrick, un ouvrier belge tiraillé entre sa famille et le conflit à venir ou encore Ferral et Clappique, d'un côté un représentant du commerce français, avide de son pouvoir monétaire et de l'autre, un ancien marchand d'art mythomane drôle et intimidant.
Si j'énumère tous les personnages, c'est parce que
Malraux active plusieurs points de vue passionnants qui abordent des choix, des crises, des actes, des (in)certitudes, des ambiguïtés, des engagements, des passions et des craintes. Une crainte en particulier, celle de la mort qui pèse dans l'entièreté du roman. Dans cette rencontre imposante et intime entre l'Orient et l'Occident, l'écrivain inscrit chez ses protagonistes, une quête du sens dont le destin leur appartient à tous. Précurseur de l'existentialisme, plusieurs voies permettent à ces Hommes d'échapper à l'absurdité du monde : par l'acte révolutionnaire, la méditation contemplative et le pouvoir de domination sur les autres. Ainsi, la vision engagée de
Malraux n'est jamais envahissante car c'est la perception de vie et de mort qui l'intéresse. Les deux se lient pour fouiller les plus profondes inquiétudes de l'être humain : la raison de nos actes, la souffrance amoureuse, la puissance obsessionnelle des motivations ou le deuil mais un aspect politique interpelle : le combat pour les intérêts sociaux contre la misère, le pouvoir capitaliste occidental sur l'Asie ou encore la dangerosité des partis extrêmes.
Avec son style elliptique, son écriture cinématographique parfois nerveuse et métaphysique, son désordre poétique et sensoriel qui creuse au plus profond de soi et ce mélange entre l'épopée historique et la réflexion philosophique,
La Condition humaine est une oeuvre exigeante mais infiniment intense.