Malte Marcus - "
Les Harmoniques (Beau Danubeblues)" – Gallimard, 2011 (ISBN 978-2070127382) Prix "Mystère" de la critique en 2012
Le lecteur retrouve ici les deux personnages du "Lac des singes" : Mister le pianiste de jazz, noir, et Bob, le philosophe devenu chauffeur d'un taxi brinquebalant, grand amateur de jazz. L'auteur insiste à plusieurs reprises sur l'origine du titre "les harmoniques", ces sons que l'on entend sans les entendre vraiment dans le spectre de résonnance d'un son de base (prendre le piano pour exemple, instrument "tempéré", n'est pas forcément judicieux, mais enfin...). Par ailleurs, il tient à mélanger la musique de jazz dans l'intrigue, à grand renfort de citations ou de morceaux interprétés par Mister : insérer page 19 sept lignes d'écriture textuelle d'accords (du type Mim7/b5 La7 Mim7 etc) n'est pas forcément à recommander, même pour un lecteur un tant soit peu musicologue, mais il est probable (?) que l'éditeur ait refusé d'insérer tout simplement une ligne de portée musicale tout de même plus facile à lire...
L'intérêt de ce roman réside dans l'évocation de la guerre en ex-Yougoslavie, plus spécifiquement des massacres commis à Vukovar, ville assiégée à partir d'août 1991 par les nationalistes fascistes Serbes lancés en pleine épuration ethnique, ville qui se rend le 18 novembre 1991, ville dans laquelle les hordes Serbes vont alors commettre des massacres et des atrocités rappelant Oradour-sur-Glane, et cette fois – grand progrès – sous l'oeil indifférent des représentants du CICR (Croix-Rouge), de l'ONU et de tout ce que l'on appelle "la communauté internationale". Pour évoquer ces horreurs, l'auteur part du meurtre à Paris, dans les années 2012, d'une jeune-femme croate brûlée vive, dont Mister est plus ou moins tombé amoureux sans trop le savoir puisqu'ils ne se sont jamais fréquentés autrement que lorsqu'elle venait l'entendre jouer du jazz.
Le récit comprend quelques retours en arrière plus didactiques et documentaires (cf par exemple pages 134-138 puis 367), mais l'auteur a l'intelligence de dresser le tableau de la guerre et de ses atrocités à travers le sort de cette seule jeune-femme (une gamine à l'époque de la guerre) et de sa famille, à une échelle humaine où chacun peut comprendre et saisir l'ampleur de ces atrocités. Les "harmoniques", ce sont les souvenirs, les remontées permanentes de ces horreurs, que pas un seul discours lénifiant des hommes politiques, toujours empressés à effacer le passé, ne peut gommer. Une belle évocation également des livres, des bibliothèques de Vukovar puis de Sarajevo (pp. 288-290). C'est là l'apport majeur de ce roman.
Malheureusement, l'auteur succombe à la mode (ou plutôt l'obsession !) en cours en 2011 dans cette gauche caviar-intello-bobo, et tente de mixer dans ce récit une minable intrigue de sexe concernant un "ministre de l'intérieur français" issu des rangs gaullistes, dénommé Karoly : tout le monde aura reconnu une mixture de
Sarkozy et de
Pasqua, malencontreusement mélangé à des moeurs à la Straus-Kahn. En revanche, l'auteur oublie totalement (!!!) d'envisager l'autre côté, bien réel : les Slobodan Milosevic et autres Ratko Mladic étaient de purs produits d'un parti communiste...
La fin est donc tirée par les cheveux, peu crédible : dommage...