Le plus petit baiser jamais recensé

Peut-être, mais on ne pourra s'embrasser qu'une fois. Car au baiser suivant, je disparaîtrai à nouveau. Et je sais par expérience que je ne peux plus me permettre d'apparaître et de disparaître comme si on appuyait sur un interrupteur. C'est ce qui a déclenché mes crises de melancolasthme. Des hoquets puissants comme des orages de grêle.

Sans doute serait-il plus simple de communiquer par textos, même si Elvis était un véritable perroquet wi-fille. Je conclus notre échange en lui envoyant le message suivant: "Pourrait-on se non-voir à nouveau ?".
L'idée de parler à la fille invisible par perroquet interposé croustillait sous mon crâne. Au carrefour des étoiles et des feux rouges, la ligne de transmission avait frémi. Mon cœur et mon cerveau se livreaient une partie de ping-pong à questions.

Passé l'élan de la conquête, vint le temps de la stabilisation. Une étape délicate dont j'appréciais la sensation d'amorti tendre, mais qui ne faisait pas de moi un homme guéri. Couple. Quotidien. Projection. Futur. Autant de mots que j'avais pourtant rayés de mon vocabulaire avec une plume bien aiguisée.

Et là, c'était au tour de mes propres angoisses de resurgir. Étais-je suffisamment armé pour affronter mes démons ? Les fées-romones pouvaient bien me planter leur baiser-flèche en plein corps, mon cœur, lui, logeait dans les douves d'un château coffre-fort dont j'avais avalé la clé.

On descend parfois si loin sous terre que même l'idée de bonheur effraie. Les yeux du cœur s'habituent à l'obscurité et même la plus douce des lumières devient aveuglante.
[…]
Sparadramour : J'ai voulu croire que tu n'étais qu'un sparadramour mais lorsque tu as commencé à te décoller de moi, j'ai eu plus mal encore que si on m'arrachait la peau avec une fourchette à escargots.

L'idée de parler à la fille invisible par perroquet interposé croustillait sous mon crâne. Au carrefour des étoiles et des feux rouges, la ligne de transmission avait frémi. Mon cœur et mon cerveau se livraient une partie de ping-pong à questions. Pourquoi l'idée même que je puisse l'aimer lui faisait-elle si peur ? Était-elle amoureuse d'un autre ? L'avais-je déçue ? M'en voulait-elle de lui avoir volé un baiser ? Que se serait-il passé si la voisine n'avait pas fait irruption dans l'escalier ?

Alors qu'Elvis répétait ses gammes de sifflement pulmonaire avec son casque sur les oreilles, je couchai sur papier l'histoire du plus petit baiser jamais recensé. Le souvenir d'une fille invisible, c'est fragile. Cela demande de l'entretien. Écrire à son propos était une bonne façon de l'alimenter. Je m'y appliquais avec frénésie. À défaut de lui parler, je parlais d'elle.

J'eus l'impression d'être sacré chevalier d'un ordre étrange. Je me demandais bien ce que j'allais pouvoir foutre avec un perroquet, même spécialement dressé. Mais le regard ultraciel du vieux détective pétillait de fierté douce, et je n'avais aucune envie de le contrarier.

Passée d'un instant à l'instant suivant de l'apparition à la disparition. Comme si sa bouche était un interrupteur corporel magique qui pouvait la faire se volatiliser. Ne restait que la mélodie asthmatique en ré mineur sifflée par ses tout petits poumons. J'entendis ensuite ses pas s'éloigner, jusqu'à ne plus les entendre. Elle n'avait donc pas disparu, elle était devenue invisible ! Nous avions échangé le plus petit baiser jamais recensé et elle s'en était invisibilisée sur le coup, tranchante comme une coupure de courant.

Après des mois d'efforts quotidiens, l'appartement de la rue Brautignan se transforma en atelier. J'ai commencé par faire pousser des fleurs d'harmonica sur le plancher. J'en récoltais environ un par semaine. Puis ce fut le tour des ukulélés, d'une très vieille guitare du Mississippi et d'une famille de skateboards. Je m'étais même lancé dans l'élevage d'écureuils de combat, qui nichaient dans le grenier de l'immeuble.