— Vous savez ? Il a déjà tué quatre d’entre vous, vous le savez et vous êtes encore là à vous regarder la queue ?
Elle descendit directement au sous-sol en émasculant du regard ceux qui s’aventuraient à caresser des yeux son corps de vieille femme bien refaite dans son Chanel classique.
– Cette folle me tient par où ça fait mal, et avec une poigne de fer et des ongles crochus en plus. Je ne pouvais pas faire autrement.
– On peut toujours faire autrement, Nambaryn, la preuve, c’est que tu me parles maintenant.
— Quand cette folle fait le ménage, elle n’y va pas au plumeau. Elle y va au chalumeau. Au lance-flammes !
— Mais il va falloir prendre tes plus beaux gants, Bekter, en soie blanche, parce que tu vas aller taper dans du beau linge, mais doublés latex parce que tu vas mettre les mains dans la merde. Cette femme, elle est de toutes les corruptions, de toutes les arnaques, de tous les coups tordus et elle a couché avec pratiquement tous les gouvernements successifs au grand complet depuis la chute du Régime d’Avant et peut-être bien avec une bonne partie du Parlement aussi.
– Comment veux-tu que je connaisse, c’est du cochon kasher peut-être ?
– Et ton Classic Chicago de chez Bill’s Bar l’autre jour, il était kasher peut-être ?
– Parfaitement. Option du delicatessen, la frankfurter est kasher !
De la frankfurter kasher, et pourquoi pas de la bolognaise végétarienne ? Ce monde virait à la dinguerie consumériste et il ne voyait malheureusement rien d’autre à faire face à cette dérive que de s’y résigner.
– Mongol, tu as déjà mangé ? Tu savais ça, toi, que c’est ragoût de queue de mouton et tête de chèvre bouillie ? Ragoût de queue de mouton, non mais tu te rends compte ? T’as déjà vu une queue de mouton ? C’est encore plus petit que la mienne. Rien à becqueter là-dedans !
– Et alors, il suffit qu’ils en mettent plusieurs et puis c’est tout.
– Quoi, ils vont tuer quatre moutons pour une assiette de ragoût ?
— Tout ce que cette ville compte d’hommes de pouvoir vient s’abreuver à sa chatte de louve en chaleur. Elle obtient ce qu’elle veut. Personne ne lui refuse quoi que ce soit. Aucun caprice. Aucune folie.
La femme était assise sur le lit des invités, au fond à gauche de la yourte. Droite, presque élégante, les fesses juste posées sur le rebord du meuble. Solongo ne répondit pas tout de suite. Elle posa ses affaires et chercha à faire du thé pour celle qui s’était invitée. La bouilloire était déjà chaude.
– Je me suis permis d’en faire en vous attendant, dit la femme.
Une cinquantaine d’années, en tailleur à l’européenne et escarpins de marque à semelles rouges, histoire de bien montrer qu’elle était riche. Mais c’était la raideur de son port de tête qui trahissait la femme de pouvoir. Pas policière. Juge peut-être.
– Consultante, dit-elle en devinant les hésitations de Solongo. Conseillère en gestion de crise aussi.
– Merci, dit Solongo, moqueuse, en se servant un thé salé moiré d’une trace de beurre, mais ma vie n’est pas chaotique au point de requérir vos services.
– Elle pourrait le devenir…
Son ton s’était durci et son regard aussi. Solongo comprit aussitôt que la menace était davantage son registre que la plaisanterie.
– Même si elle le devenait, répondit Solongo d’une voix douce, je pense que je me passerais de vos services.
Ses jours seraient des enfers soufferts, mais ses nuits des refuges attendus, et les premiers les longues antichambres des secondes.