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sur 338 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
20/11 : Midi. Il est dans ma boîte aux lettres. Très vite dans mes mains. Je picore plus que je ne mange et commence à lire : Istanbul, la place Taksim, le parc Gezi, Recep Erdogan et la démocratie étouffée dans la violence, la guerre, les réfugiés à la frontière... Je pars travailler sur ces derniers mots "les turcs, les Kurdes, les Syriens, les travailleurs pseudo-humanitaires, ils peuvent tous crever dans leur croissant fertile de merde : cette terre est maudite, sauve qui peut."
Mais pour aller où, Sara ?
22h00 : Je sais que ce n'est pas raisonnable, mais je le reprends et continue à lire. "Que peut-on faire pour la liberté, pour l'art, pour l'amour ? C'est une question simple, non." Je suis les pas de Valérie Manteau, son style me surprend. Je bute sur les phrases, ne sais pas toujours qui parle, je repars en arrière, reprend ma lecture, j'essaie de ne pas les perdre, ces petites voix qui s'entremêlent, s'entrechoquent. Et puis, très vite, c'est là ! Ce rythme, cette respiration. Je marche maintenant côte à côte avec elle. Nous partageons la même foulée, dans les rues d'Istanbul qui nous conduisent au Muz, dans les escaliers qui mènent à son appartement, celui de son amant turc.

Je ne sais toujours pas comment prononcer Hrant. "Des phrases de lui, tracées dans de la terre pigmentée d'Anatolie." Je l'imagine, cette femme, mouvements amples et lents, la tête haute, déterminée à ne rien lâcher. Car céder, c'est mourir encore un peu...
Je m'arrête sur l'origine d'un slogan politique que j'exècre "Tu l'aimes ou tu la quittes". "De quelle tombe crois-tu que Sarkozy a exhumé ce refrain ?" Et c'est déjà le petit matin. Je m'endors en colère...

21/11 : Quelques pages au petit déjeuner avant d'aller bosser. Et ce repas entre collègues à midi, où je leur parle de Sarko, du slogan, du karcher... et tout le monde s'en fout ! L'indifférence, c'est ce qui nous perdra. Tous !
Rentrée tard ce soir, mais pas prête à le lâcher, je reprends le sillon. "Tu vas écrire sur Hrant alors ? (...) Si tu veux mon avis (je fais non de la tête) tu n'as pas besoin de ce détour pour comprendre ce qui nous arrive, tu pourrais aussi bien le voir directement. Au lieu de quoi tu ajoutes des écrans de morts aux vivants pour te planquer, tu n'iras nulle part avec tous ces boulets au pied. Mais précisément, je dis, je ne veux aller nulle part. Je reste ici."

Je reste aussi. Bien planquée dans ma petite vie... mais je te suis. Ton indignation est la mienne : Anna, cette petite robe jaune fluo. Je la porte aussi, elle gonfle et gronde. "il gueule d'un coup très fort, fous le camp maintenant, tu ne comprends rien et tu ne nous aides pas."
Comprendre, j'essaie. Mais c'est pas simple, vu d'ici. Merci à toi, Valérie, de me parler de là-bas, comme personne encore ne l'a fait...

22/11 : "Mais pourquoi tu vas raconter tout ça ?" Tu écris comme on appelle un soir de panique face au drame - cette liberté qu'on emprisonne, ces vies qu'on écrase - lucide et claire, pour que je puisse comprendre - attraper cette main tendue - mais avec cette voix saccadée du souffle coupé. L'émotion. Valérie, tes phrases sont des respirations. Une urgence de dire et de donner à entendre. Mais que nous sert d'entendre si nous ne savons pas écouter ?
Je veux retenir tous ces noms, ces anonymes, ces écrivains, ces journalistes, qui résistent et tremblent. Asli et tous les autres...
J'arrive sur les dernières pages.

Ne plus pouvoir lire
La gorge serrée
Mais continuer à écrire

23/11 :

Hrant Dink. "Mort assassiné par balle le 19 janvier 2007 devant son journal, Agos, à Osmanbey, quartier animé de la rive européenne d'Istanbul. Abattu par un jeune nationaliste de dix-sept ans qui a voulu débarrasser le pays de cet insolent Arménien, "l'ennemi des Turcs"."

Les mots suffoquent-ils
encore sur le papier froissé ?
Lien : https://page39web.wordpress...
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Que dire sinon une très grande déception pour ce livre ayant raflé le prix Renaudot en 2018.
Un style unique certes mais c'est le seul point positif que je retire de ce récit féministe dans lequel je me suis perdu et où j'ai dû forcer pour arriver au bout.
A part vous dire que cela parle de liberté dans un pays où celle ci est en permanence bafouée, je n'ai rien retenu d'autre malheureusement.
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Je n'arrive pas encore bien à mettre par écrit les mots pour le dire !
Ecrire comment on est avant, pendant et à la fin de cette lecture !
Comprendre encore mieux à la fin de la lecture pourquoi les éditions le Tripode ont fait le choix de ne sortir que ce titre pour la rentrée littéraire ; et lorsque l'on reçoit avec le livre la lettre qui l'explique et la liste des livres décallés, paf, la claque est plus grande encore !
Les mots de Valérie Manteau sont sur les tables des libraires, sont sur les tables aussi de la librairie dont je suis une moitié et attendent presque calmes et tranquilles leurs futurs lecteurs ; presque parce que la libraire ne peut en parler calmement, elle cherche encore ses mots donc mais surtout ils lui viennent dans un désordre sincère, et convaincu qu'elle ne pourra pas en parler sans chair de poule !
A très vite promis pour une critique plus structurée...ou peut-être pas mais en tout cas, des mots pour essayer de partager avec vous !
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"J'ai dans les bottes des montagnes de questions, où subsiste encore ton écho". Ces paroles d'une belle chanson* d'Alain Bashung sont l'explicit du dernier roman de Valérie Manteau, le Sillon. Les questions sont en effet nombreuses, qui affluent à la conscience du lecteur, tout au long de ce livre polymorphe et singulier.

Peu après les attentats commis à Paris en novembre 2015 l'auteure décide de quitter le climat oppressant qui règne dans la capitale pour trouver un point d'ancrage, un décentrement d'elle-même face aux événements tragiques encore tout récents. Elle choisit pour cela de partir pour Istanbul. C'est sans savoir parler ni même lire le turc, qu'elle passe le détroit du Bosphore pour s'installer sur la rive asiatique de la mégapole. Elle redécouvre des quartiers anciens de la ville où cohabitent de nombreuses communautés, y retrouve son amant mais aussi des amis, des connaissances, des militants progressistes, représentants de l'intelligentsia locale ou engagés dans l'action humanitaire.

C'est au travers d'une lecture qu'elle découvre la personne de Hrant Dink, célèbre journaliste et écrivain turc d'origine arménienne qui, en janvier 2007, a été abattu froidement en pleine rue par un jeune nationaliste turc. Créateur de l'hebdomadaire Agos (un ancien vocable turco-arménien plus guère usité aujourd'hui, qui signifie le sillon), Hrant Dink a été et reste encore aujourd'hui un grand symbole de courage et de rapprochement entre les peuples turc et arménien.
L'auteure va décider d'écrire sur l'itinéraire, sur la vie de cet homme. Au travers du portrait qui se déploie dans le roman, s'opère une entrée dans les soubassements de la société turque, dans son histoire, son passé (la création de l'état laïc, le génocide arménien,...) et dans son présent (le pouvoir autoritaire du président Recep Tayyip Erdoğan, les attentats perpétrés par le PKK - les nationalistes séparatistes kurdes - ou encore par la mouvance État islamique, les réfugiés venant de la Syrie proche,...). Toute la personne de Hrant Dink, toute son action, révèlent les nombreuses lignes de fracture et de rapprochement d'un pays qui se replie sur lui-même, qui éteint toute velléité contestataire et revendicative et qui règle en coupe sombre le sort des individus et des communautés qui veulent se faire entendre.

Le sillon est à la fois un roman autobiographique mais également un livre politique, engagé.
Si j'ai été quelque peu désarçonné par la partie romancée du livre, par le style indirect qu'utilise Valérie Manteau - on ne sait parfois plus très bien qui s'exprime, qui sont les personnages en présence - j'ai par contre été impressionné par l'approche et la connaissance qu'elle a de la situation politique et des droits de l'homme en Turquie, de l'état de l'opinion publique, consciente mais résignée, et de l'action du milieu culturel et littéraire.

C'est un livre qui, plus largement, interroge sur le sens de la dignité humaine, sur les combats nécessaires à mener, sur la notion de justice et des droits de l'homme dans un pays où sévit un état répressif et autoritaire, qui règle tout le pouvoir des institutions. C'est un livre qui nous questionne aussi sur la manière dont nous nous approprions aujourd'hui la mémoire d'un homme disparu - Hrant Dink - et l'action présente d'une autre - Asli Erdogan -, le combat dont ils sont les grands représentants.
Ce livre est enfin et par ailleurs, il faut le souligner, un bel hommage rendu à la ville d'Istanbul, à ses quartiers, à ses rues pleines et vivantes, à la Turquie et à son peuple, encore assez méconnus du côté de l'Occident, à ses communautés d'origine et à leur mémoire.


(*) "La nuit je mens" - Alain Bashung.
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La Turquie, la montée de l'intégrisme et de la dictature d'Erdogan. C'est l'un des sujets de ce beau roman, écrit par Valérie Manteau, ex Charlie-Hebdo, qui sait si bien utiliser les mots pour parler aussi bien de liberté, de démocratie perdue que d'amour(s). C'est l'histoire d'une femme qui rejoint son amant en Turquie et c'est l'histoire d'une ville, Istanbul, qui vit, se bat et s'enivre de mille parfums, mégapole à la fois innovante et mélancolique. le sillon, ce sont des idées qui émergent au fil des pages, au-delà de la relation amoureuse, un livre à lire et relire pour y trouver de sombres et de joyeux messages.
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Un gros coup de coeur pour l'excellent roman de Valérie Manteau , le Sillon, un très beau livre émouvant reflet du désespoir humain ...où l'auteure avec une écriture féminine, légère et fluide va nous entrainer dans le tourbillon, de son histoire d'amour autobiographique entremêlée d'une enquête sur le journaliste Hrant Dink assassiné en 2007 pour avoir rêvé la paix, devant les locaux de son hebdo «Agos» (le sillon, en français), par un nationaliste turc de 17 ans .
Un roman brillant, où la fiction s'abreuve de la réalité et où la réalité se nourrit de la fiction... Une auteure impartiale, qui dénonce la situation terrible d'un pays.
Un pays en proie à la dictature et à l'intégrisme, un pays où les droits de l'homme s'étiolent au fil du temps, un pays où la liberté d'expression n'existe quasiment plus
L'héroïne française quitte la France peu après les attentats de Charlie Hebdo et s'installe à Istanbul pour retrouver l' homme qu'elle pense aimer. Là, elle est envoutée par cette ville qui l'enveloppe , la fascine, l'angoisse, l'avale dans ses entrailles et lui transmet sa peur frénétique et ses folies.... Elle se met à arpenter les parcs, les rues et cumule les rencontres , L'histoire d'amour défile sous nos yeux mais les élans du coeurs et les mouvement des corps font corps avec le coeur de la Turquie, l'ombre de Hrant hante ses nuits prenant la place de son amant , Istanbul , objet de ses fantasmes, Istanbul la fascinante et la romanesque au brassage multiculturel se teinte d'un voile de danger
On ressent les émotions de l'auteure, ses doutes, ses questionnements, ses déchirements intérieurs, on serre les poings avec elle, on vibre, on se révolte et on trace des sillons à l'image de ces hommes et de ces femmes, le roman se fait journal intime, quête personnelle, sentimentale et se double de cette enquête minutieuse socio politico journalistique Humaine
.

A lire absolument ... Et si vous l'avez-vous lu, qu'en avez-vous pensé, j'attends vos avis.
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La Turquie sous la coupe d'Erdogan par les yeux d'une française amoureuse d'Istanbul. Hommage à ceux qui se battent contre l'arbitraire et y laissent leur vie, comme Hrant Dunk, créateur d'"Agos" (le sillon) 1er journal bilingue turc-arménien, assassiné par un nationaliste en pleine rue à Istanbul en 2007.
Une écriture comme une errance à la recherche de la liberté, avec une sacré force derrière la finesse de la suggestion.
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La 4ème de couverture ne rend clairement pas hommage aux qualités de ce livre. On est loin d un roman qui se focaliserait sur la relation d'une femme et de son amant turc. Ce roman nous plonge dans la Turquie contemporaine, celle des démocrates, des intellectuels, des artistes mais aussi celle de la violence, de la corruption et des assassinats politiques impunis. La narratrice a pour projet d écrire un livre sur Hrant Dink, journaliste et écrivain assassiné en 2007. Ce qui frappe dans tous les témoignages qu'elle recueille pour son ouvrage, c est l'amour de ces personnes pour leur pays et pour la ville d'Istanbul. On a l impression qu'ils aiment plus leur pays que lui-même ne les aime. Ils vivent une souffrance physique, sociale et morale quotidienne mais ne se résolvent pas á le quitter, sauf pour certains dont le désespoir a fini par atteindre leurs limites. En conclusion, un très beau livre, touchant et érudit dont on sort avec une furieuse envie de voyage en Turquie...malgré tout !
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J'ai vraiment beaucoup apprécié cette oeuvre même si j'ai eu du mal à décoder bon nombre de phrases et paragraphes en raison de l'absence de signes de ponctuation qui sont essentiels à la compréhension du texte. Pas de guillemets ouverts ou fermés pour le discours direct, des virgules manquantes et des pronoms personnels utilisés sans que l'on sache à qui ils renvoient. Je présume que c'est ce que souhaite l'auteur, mais j'ai pas compris l'objectif de ce choix.

J'ai voulu abandonner ma lecture à quelques reprises tellement je trouvais agaçante l'obligation de relire plusieurs fois les mêmes phrases afin de m'assurer d'avoir bien saisi le sens.

Je l'ai lu jusqu'à la dernière page et j'ai été très émue et bouleversée jusqu'aux larmes de découvrir des drames humains aussi tragiques que ceux dont il est question dans cet ouvrage. La profession de journaliste et d'écrivain est un sport dangereux dans un certain nombre de pays dont la Turquie et je loue le courage de ces hommes et de ces femmes qui osent faire entendre leur voix par esprit de justice et de liberté.

Je pense aussi au journaliste Kashogghi assassiné il y a peu de temps.
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Le Sillon est un livre d'Histoire, un livre historique. Certains pourront le qualifier de roman, de récit, d'autres, comme son auteure, d'« autofiction documentaire », d'autres, d'essai, peut-être. Et alors même que le français nous offre la chance du nombre de qualificatifs, je préfère le plus large.

Livre d'Histoire, parce qu'il est à lire et à relire, parce que l'histoire s'apprend, s'apprivoise pour que la connaissance des mondes se transmette. Et parce que l'Histoire est cruciale pour oser espérer comprendre un peu mieux autrui. Valérie Manteau, dans son autofiction documentaire propose un témoignage. D'une époque, celle de 2013-2016, d'un lieu, Istanbul, et d'une atmosphère si particulière, celle qui suit des attentats, des assassinats ; celle qui abrite résignation et recherche de liberté. le paradoxe turc.

Ce livre aux multiples facettes est d'abord le projet d'une journaliste. Elle part questionner un monde, le monde d'à côté, le monde d'après le pont. Après le Bosphore. Deux questions alors : pourquoi et comment. Pourquoi l'inquiétude, comment l'expérience ? Pourquoi l'expérience, comment l'inquiétude ?


L'inquiétude

« La différence entre l'Orient et l'Occident, écrit Hakan Günday, c'est la Turquie. Je ne sais pas si elle est le résultat de la soustraction, mais je sais que la distance qui les sépare est grande comme elle. »

Valérie Manteau, ou plutôt sa narratrice, questionne. Elle questionne pour sortir du cadre et s'inflige un exercice de style fort, beau, peu commun. Celui de s'avérer presque vaincue d'avance. Elle sait qu'elle comprendra peu. Entendra des sons, des mots, des querelles de traductions, des médias, des journalistes, des policiers, des avocats, des écrivains. Elle sait qu'elle entendra beaucoup et comprendra toujours peu, jamais assez. Parce que la vie est comme ça. Elle n'est qu'une histoire de traduction de l'un pour comprendre l'autre. Il s'agit de langue avant tout, et donc de culture. Et donc d'histoires, de vies, d'habitudes, de nostalgie d'un empire.

Un pas de côté pour comprendre l'inquiétude d'un peuple, divisé d'une seule voix et pourtant rassemblé par les paroles d'un hymne national, à l'appel d'un mot, le premier : korkma. N'aie pas peur.

Un pas en arrière, pour revenir aux origines des déchirements. Il y a de la violence, bien évidemment de la violence, puisque la narratrice retrace la ville de 2013 à 2016. Elle part sur les traces, entre autres, des raisons de l'assassinat de Hrant Dink en 2007, journaliste arménien. Enquête. En quête de tout. Qu'écrivait-il ? de quoi avait-il peur ? Pourquoi les autres sont-ils encore si inquiets ? Qui sont ces autres ? Quel est leur combat ?

En 262 pages, la narratrice tente d'approcher les pourquoi et les comment qui cristallisent la seule question dont l'empreinte demeure et résonne : comment vivre ensemble ? Comment trouver sa place dans un lieu qui ne sait plus tellement qui il est ? Comment se parler ?
[suite de la chronique sur www.startingbooks.com]
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