Déception, voilà, c'est dit. Je crois que ce mot est le plus apte à retranscrire le sentiment de ma lecture.
Emballée par Prométhée Vagabond, j'étais enthousiaste à l'idée de découvrir un philosophe du XVIIème. Lors de mes études, j'ai mangé de la Littérature du XVIIème siècle jusqu'à l'overdose, et je lui reconnais un charme et une ivresse de l'antiquité qui me séduisent.
Le XVIIème siècle est une période charnière en philosophie : l'apogée d'une pensée classique durant laquelle fleurissent parallèlement, des pensées plus libres. Leurs précusseurs sont
Rabelais,
Montaigne, et tous ces grands humanistes qui ont eu à coeur de mettre l'homme au centre du monde, mais pas la femme. Comme ce fut aimable de leur part.
Secrètement, j'adore détester
Rabelais, car je le trouve à la fois drôle et lourd, savant et pesant, engagé et détaché du monde...Un éloge paradoxal à lui tout seul. Parlons-en, des éloges ! L'éloge paradoxal est adulé à cette période. le pincipe est simple : le sujet qui reçoit les compliments est en fait celui que l'auteur critique. Sous la plume de
Rabelais, l'argent devient le nouvel ordre du monde (c'est tellement mieux que l'Humain, voyons !), l'esclavagisme est encensé par
Montaigne (Ah ! Quoi de mieux que la barbarie et l'exploitation de l'Homme par l'Homme ?) et
le néant... reste néant chez Manzini.
J'avais certaines attentes, l'éloge paradoxal en faisait parti. Et puis, non, pas d'éloge paradoxal, pas d'éloge tout court en fait. Je ne trouve pas de quoi me rassasier, le texte est exempt d'humour, de satire, d'ironie... de tout ce qui me donne l'eau à la bouche, qui enrobe la mixture et la rend savoureuse... Pas de tonalité comique, accrocheuse, ou même véritablement personnelle, Manzini nous offre un dîner, ni chaud, ni froid, mais plutôt tiède. Il pose en fait son opinion comme une dinde mal farcie sur la table. Bon appétit.
Le plat principal est assez pauvre, mais heureusement, l'appendice vient l'agrémenter d'explications lumineuses. Y avait-il donc besoin d'éclairer une notion aussi obscure ? Oui, car Manzini reste assez flou sur l'idée qu'il défend. Ainsi,
le néant originel aurait-il existé avant le cosmos, et il serait à la fois originel et éternel, parfait et absolu comme Dieu. (Je vous résume vingt-cinq pages en une ligne, m'en voudrez-vous ?). Toutefois, les questions que le lecteur se pose (Qu'est-ce que
le Néant : l'absolu rien, la négation de tout ? le monde est-il vain au point qu'il faille en déduire que
le néant l'a précédé, ou au contraire, enfanté ? Si oui, pourquoi ? Comment ?) restent non éludées (il faut donc poursuivre en lisant
Sartre et Heiddeger...).
Je n'ai pas été du tout convaincue par ce discours, pourtant, je suis vraiment bon public. Autant, j'aime
le néant d'Heiddeger, autant, je n'ai pas du tout accroché à celui de Manzini. Chez Heiddeger,
l'être et le néant sont union. Pour Manzini,
le néant est tout simplement l'origine de tout, même de l'Homme.
Cependant, je dois reconnaître une qualité essentielle à cet écrit. Manzini a peut-être posé ce discours sur la table comme une dinde, mais il l'a fait avec ses tripes ! Hisser
le néant à la hauteur de Dieu au XVIème siècle, c'était comme de refuser de laisser sa place à un blanc dans un bus en 1955, dans une Amérique qui maudissait Kerouac et qui souffrait de l'Apartheid. Même si ce discours n'est pas extraordinaire d'un point de vue rhétorique, eût-il fallu son pesant de courage à son auteur pour le produire. Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle il me paraît si fade, la saveur est dans le geste, pas dans le rendu...
Au vu des récents évènements politiques (#jesuischarlie), je me permets de rééditer cette critique, et d'y apporter de nouvels éloges. Si la lecture ne m'emballe toujours pas, je dois lui reconnaître une grandeur que d'autres textes n'ont pas. Pourquoi ? Manzini déballe son point de vue sans fioriture, sans provocation, sans humour, soit. Toutefois, ses mots sont forts, ses mots ont une valeur : celle d'affirmer une pensée à contre-courant de son époque. Manzini n'est pas le
Charlie Hebdo de l'époque, mais il fallait en avoir dans la plume pour coucher ces mots et oser les dire, dans un contexte de guerre, dans laquelle l'homme était en crise de (mauvaise) foi !
Ce texte a été relu et corrigé par Magdeleine Goutierre
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