On ne parle jamais de la misère affective hivernale des distributeurs de monnaie de stations balnéaires.
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Dans mon prénom y a écrit ma classe sociale, mon milieu, entre chaque lettre y a écrit que je suis caissière. J'ai pas honte d'être caissière, y a aucune raison d'avoir honte d'être caissière. Mais pourquoi tous les clients ont besoin de connaître mon prénom ? Pourquoi ? J'ai pas de nom, juste un prénom. Comme les chiens ou les chats. Quand le patron se pointe, il a pas de badge avec son prénom et on doit lui dire "Bonjour monsieur", y en a même qui disent "Bonjour monsieur le directeur". On connaît même pas son prénom, on doit pas en être dignes. Lui, il nous tutoie et nous appelle par notre prénom en vérifiant nos badges et en nous matant les seins au passage. Mais comme c'est pour regarder le prénom, il a le droit.
Ce n'est pas parce que ma vie a été un échec que mes rêves n'ont pas été grandioses.
Dans la réalité, elle était entourée par les chinetoques, les bougnoules et les bamboulas, les youpins, les gros tas et les boudins, les sacs d’os, les Poil de carotte, les nabots et les avortons, les salopes et les pétasses, les gouines et les pédés, les garçons manqués, les efféminés, les ploucs et les bouseux, les mongoliens et les débiles, les crânes d’œuf et les Queue-de-rat, les rastaquouères, les bâtards, les anciens taulards, les nouveaux crevards et les néoclochards, les boiteux, les bigleux, les neuneus, les peureux, les pas sérieux. Les vieux. Ceux qu’on ne veut plus, les rebuts de la société, les inutiles. Ceux qui n’ont plus rien à nous apprendre, qu’on n’écoute plus, qu’on ne veut plus entendre. Les pas comme il faut, les mal élevés, les malhabiles, les mal finis, les mal foutus, les malades, les bancals. Les sourdingues, les doux dingues et les baltringues.
Tous ceux qui prennent trop de place, qui ne rapportent pas assez d’argent, qui ne sont pas faits du bon bois, pas du bon moule, qui n’ont pas la taille standard. Entrée des artistes, sortie à l’hospice. Et sans un bruit. On ne veut pas vous entendre, on ne veut pas vous voir, on veut vous oublier. Surtout vous oublier. Faire semblant que vous n’existez pas, que vous n’avez jamais existé, que vous n’existerez jamais.
Nous n'étions rien et nous devenions quelque chose. Des gens pour qui les étoiles brillent. Quand on connaît la puissance d'une étoile, c'est assez impressionnant.
Je suis allée sur sa tombe, mais il était pas plus bavard que Jésus ou Marie. Alors je comprenais pas bien pourquoi on l'avait mis là. Je me sentais obligée d'y aller au moins une fois par semaine et il se passait jamais rien. C'est pour ça que j'aime pas les cimetières, ça crée des obligations et ça sert à rien. On a pas le droit d'abandonner nos morts alors que c'est eux qui nous ont abandonnés.
Un rêve brisé, ça reste le début d'un rêve.
Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Baudelaire
- Qu'est-ce qu'il raconte le débile ?
Erreur. Fallait pas parler comme ça.
Jésus est passé par dessus le comptoir, Marcel a renversé sa table, Bonnie et Clyde ont sorti les couteaux, Antonin a rangé son bizzarotron et sorti son harmonica pour rejouer l'air du Bon, de la Brute et le Truand...On sentait bien que ce n'était pas le bon qui l’inspirait le plus.
Jésus a encore monté le volume sonore de son juke-box. Il y a mis Break on Through (To the Other Side) des Doors. Nous chantions tous plus ou moins en chœur, plus ou moins en anglais, plus ou moins juste et plus ou moins en rythme. Autant dire que ça ressemblait sacrément à un live des Doors.