Samuel Ben Klifa était un garçon tendre et doux. Il avait un visage rondelet, tacheté de rousseurs et son regard bleu pétillant donnait toujours l’impression que son rire allait exploser d’une seconde à l’autre. De fines rides au coin des yeux, qu’il plissait souvent, accentuaient le trait de la bonne humeur. Il avait en horreur ses oreilles décollées lui rappelant celles d’un chanteur en vogue qu’il trouvait, selon son expression, plus laid qu’une figue. Il était brun, le cheveu épais taillé très court, détail qui le torturait. La coupe de cheveux révolutionnaire des Beatles le poussait au désespoir, car le sort avait décidé que son père, Joseph Ben Klifa, ne serait pas boulanger ni banquier, pas plus qu’horloger, mais artisan coiffeur. De plus, un artisan coiffeur trouvant excentrique qu’un cheveu dépassât le demi-centimètre. Aussi, une fois par mois, Samuel était appelé sous la tondeuse, les ciseaux ou le rasoir à main. L’enfant pouvait supplier, se tordre en lamentations, lui arrivant même de proposer un marché d’un an de vaisselle lavée, essuyée et rangée en échange d’un trimestre de repousse, rien n’y faisait. Tous les arguments lui semblaient exploitables quand sa toison se trouvait en état de légitime défense.
— Tu connais Samson, papa ?
— Comme tout le monde.
— Quand Dalila lui a coupé les cheveux, il a perdu toutes ses forces.
— C’est bien, mon fils, tu en connais des choses, répondit Joseph en faisant claquer ses ciseaux à l’oreille de Samuel.
— Après, il est devenu esclave…
— Qui ça ?
— Samson, papa !
— Le pauvre.
— Oui, alors qui te dit que je suis pas en train de perdre quelque chose, à chaque fois que tu me coupes un cheveu ? Un petit bout de mon intelligence, un petit bout de ma gentillesse ou un truc comme ça… Qui te dit ? Qui te dit qu’un jour je vais pas perdre une jambe ou bien un œil ?
— Personne, coupa Joseph, personne ne me le dit. Baisse un peu la tête !
Sourd aux arguments bibliques de son fils et froid comme le fil de son rasoir, Joseph taillait, coupait tout ce qui dépassait du jeune crâne, sous lequel commençaient à bouillir des pensées libertaires.