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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Demain, dans la bataille, pense à moi, et que ton épée tombe émoussée ! Désespère et meurs ! [...] et que, sous le poids du remords, ta lance tombe de tes mains ! Désespère et meurs ! » Nous ne sommes pas au théâtre, lorsque les spectres de ses victimes maudissent le Richard III shakespearien, mais dans la vie de Victor, le narrateur, un homme quelconque qui vit dans l'ombre, à écrire des scénarios morts-nés et à servir de nègre à un autre nègre. Un soir, alors qu'un flirt l'a conduit chez une dénommée Marta en l'absence du mari, avant même que la jeune femme ne devienne son amante, celle-ci – aberrant coup de sort ! – est victime d'un malaise et meurt dans ses bras. Que faire, seul avec le très jeune fils de cette presque maîtresse dans cet appartement inconnu ? L'homme choisit la fuite, mais incapable d'effacer aussi facilement sa conscience, trouve le moyen de revenir chez Marta par le biais de la famille. L'on va alors découvrir les incommensurables conséquences, non pas de ce décès dans lequel il n'est pour rien, mais de ces quelques heures d'escamotage qui auront bel et bien tout changé...


Dans un style inimitable qui dévide une première fois le fil de pensée du narrateur, lorsqu'il ignore encore les événements parallèles vécus par le mari en voyage d'affaires Outre-Manche, puis lui en fait remâcher les longues phrases-fleuves avec cette fois la connaissance de cet envers du miroir et de sa responsabilité involontaire sur cette partie des faits, l'auteur déplie son histoire pour nous révéler en ses creux des thématiques récurrentes dans son oeuvre : le hasard, la fatalité, ces effets papillon inattendus qui scellent notre destin, parfois à notre insu, et, nous faisant « tomber d'un côté ou de l'autre, très vite, » d'une « frontière ténue », nous exposent sans cesse - « il suffit d'un moment d'inattention » - « aux plus grands bouleversements », ceux que nous réservent « le revers du temps, son dos noir » - expression dont il fera le titre d'un autre roman.


Bien plus observateur que réel acteur de son histoire, Victor, déjà invisible par profession, s‘efface encore lorsqu'il prend la fuite, puis, revenu constater les traces laissées par l'événement qui le taraude, mesure à quel point la vie s'est entre temps jouée de leur ignorance et de leur cécité à tous, les réagençant comme d'insignifiants atomes interagissant à leur insu, en une longue chaîne d'effets non maîtrisables. « Des gens meurent à cause de nous et nous ne le savons pas. » Ce narrateur qui avait déjà tellement conscience de n'être personne, en plus d'être convaincu de l'inéluctable effacement de tout être et de toute chose à mesure du passage du temps et des générations, réalise aussi comme le destin de chacun ne tient jamais qu'à un aléatoire enchevêtrement de fils. Alors, puisque « tant de choses arrivent sans que personne ne s'en rende compte ni ne s'en souvienne », que bientôt « tout est oublié ou prescrit », il lui devient facile de conclure qu'il serait vain de s'appesantir sur les remords et les regrets. Laissons les secrets et leurs ombres disparaître d'eux-mêmes à leur tour : face à l'absurdité du monde, tout cela de toute façon ne pèsera guère…


Javier Marias, un des plus grands noms de la littérature contemporaine espagnole, signe ici une création magistrale, où mensonge et dissimulation se dissolvent dans les brumes de la fatalité et du hasard.

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Marta, trente-trois ans, était trop jeune pour mourir, mais on ne choisit pas son heure. Elle est morte dans son lit, non, je devrais dire sur son lit parce qu'elle n'a pas eu le temps de se glisser sous ses draps. Un malaise qui ne passe pas, qui s'aggrave et qui vous emporte silencieusement, presque calmement au début de la nuit. A-t-elle souffert ? La question rituelle des proches ; il faudrait la poser à son mari mais il n'était pas là, en déplacement à Londres. Alors la réponse, c'est l'invité de passage, celui qui ce soir-là lui tenait compagnie sur le lit, qui nous la donne puisque c'est lui le narrateur. La clandestinité, le travail à la place du titulaire habituel, « honorer dans l'ombre et en secret », il connaît, c'est même son métier. « Ruibérriz reçoit beaucoup de commandes et s'il ne publie pas il écrit continuellement, ou plutôt il écrivait, car ces derniers temps…il préfère prendre du bon temps et se permet de refuser la plupart des commandes, ou plus exactement il les accepte et me les repasse avec soixante-quinze pour cents des bénéfices, afin que je les honore dans l'ombre et en secret. Ainsi, il est ce qu'on appelle en langage littéraire un nègre – dans d'autres langues un écrivain fantôme – et moi j'officie en tant que nègre du nègre, ou fantôme du fantôme du point de vue des autres langues, double fantôme et double nègre, double personne. »
Que faire, que dire, qui prévenir ? Emmener l'enfant en bas âge qui dort dans la chambre à côté ou prendre la fuite en le laissant seul ? le premier chapitre est tout simplement formidable et même si les phrases sont longues, le roman très cérébral (l'essentiel se passe dans les pensées du narrateur), vous n'aurez qu'une envie : celle d'écouter jusqu'au bout ce « double nègre, double fantôme » cherchant à se délivrer de ce fardeau qui le hante.
Puisqu'on évoque l'aspect fantomatique du narrateur, faisons un sort au titre, extrait de Shakespeare, dans lequel le spectre d'une de ses victimes vient hanter Richard III, tyran usurpateur et infanticide, à la veille d'une bataille. Bien choisi, n'est-ce pas ?
«Demain dans la bataille pense à moi, et que ton épée tombe émoussée!
Demain dans la bataille pense à moi, quand j'étais mortel, et que ta lance tombe en poussière. Que je pèse demain sur ton âme, que je sois un plomb dans ton sein et que finissent tes jours dans une sanglante bataille.
Demain dans la bataille, pense à moi, désespère et meurs.»
Le reste de l'intrigue, qui ménage quelques surprises finales, est également l'occasion d'une brillante dissertation sur la mort, la vieillesse, le mensonge et la confession. La mort et surtout l'effacement et l'oubli. «Avant on les vénérait ou du moins leur mémoire, et on allait leur rendre visite sur leurs tombes avec des fleurs et leurs portraits trônaient dans les maisons, on gardait le deuil pour eux et tout s'interrompait un temps ou diminuait, la mort de quelqu'un affectait l'ensemble de la vie, le mort emportait en fait avec lui quelque chose des autres vies, des êtres chers… Aujourd'hui on les oublie comme des pestiférés, à la rigueur on les utilise comme boucliers ou comme fumier pour rejeter sur eux la faute et les responsabilités de la situation lamentable qu'ils nous ont laissée… »
La vieillesse : « C'était cette naïveté feinte, si courante chez les vieux, grâce à elle ils finissent par faire et dire ce qui leur passe par la tête sans que personne ne le leur reproche ou n'en tienne compte, ils feignent d'être pré-morts pour avoir l'air inoffensifs, sans désirs et sans attente d'aucune sorte, alors qu'on ne cesse jamais d'être dans la vie tant qu'on est conscient et qu'on ressasse des souvenirs, d'ailleurs ce sont les souvenirs qui font de tout vivant un être dangereux et désirant et en perpétuelle attente…on ne peut s'empêcher de penser que ce qui a été une fois peut être de nouveau, si quelqu'un avait la certitude qu'il a fait l'amour pour la dernière fois il mettrait fin à sa conscience et à son souvenir et se suiciderait… »
Le mensonge… « Comme il est fatigant de garder un secret ou d'entretenir un mystère, que de travail représentent la clandestinité et la conscience permanente que nos proches ne peuvent pas tous savoir la même chose… Ce n'est pas toujours par intérêt personnel ou par peur ou parce que nous avons commis une véritable faute que nous le cachons, c'est très souvent pour ne pas déplaire ou ne pas décevoir et pour ne pas faire de mal, d'autres fois c'est par pure courtoisie, il n'est pas bien élevé ni civilisé de se donner à connaître entièrement, sans parler de dévoiler tares et manies. »…mensonge qu'il nous faut bien accepter « Etre trompé est facile et c'est même notre condition naturelle et en réalité nous ne devrions pas en être si affectés ».
Et pour finir, la confession libératrice, la révélation de la vérité : « C'est pour cela que ce qui a eu lieu est toujours beaucoup moins grave que les craintes et les hypothèses, les conjectures et l'imagination et les mauvais rêves. » « Celui qui raconte sait en général bien expliquer les choses et sait s'expliquer, raconter c'est comme convaincre ou se faire comprendre ou faire voir, ainsi tout peut être compris, même ce qu'il y a de plus infâme, tout peut être pardonné s'il y a quelque chose à pardonner. » « On lit parfois que quelqu'un avoue un crime quarante ans après l'avoir commis…et les candides, les justiciers et les moralistes croient que cette personne a été vaincue par le remords ou le désir d'expiation ou la torture de la conscience, alors que la seule chose qui l'ait vaincue est la fatigue et le désir d'être d'une seule pièce, l'incapacité à continuer à mentir ou à se taire… »
Intrigant, brillant, percutant !
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Un début de roman stupéfiant, comme souvent chez Marías. Marta, une femme adultère, et le narrateur ne se connaissent que depuis quelques jours quand elle l'invite chez elle pour un rendez-vous galant impromptu. La présence de son enfant de deux ans prolonge indûment le repas et quand enfin le couple d'un soir se retrouve dans la chambre à coucher, l'amante en devenir est prise d'un malaise. le narrateur est le genre d'homme qui allume la télé en attendant que ça passe. Manque de pot, Marta meurt dans ses bras.

Les pensées du narrateur, l'antihéros par excellence, se bousculent. Comment réagir à cette mort horrible, cette mort ridicule ? Il reste plus de 400 pages pour le savoir. Les habitués de Marías retrouveront ses marottes : la mort, la mémoire (surtout l'oubli), la part d'ombre des conjoints, les conséquences (ou non) des actions (et des inactions).

Tragique « Demain dans la bataille pense à moi, et que ton épée tombe émoussée ! Désespère et meurs ! » (Richard III, Shakespeare), mais aussi comique, notamment quand le narrateur raconte son entretien avec l'Unique, Only the Lonely (le Roi d'Espagne). Sans compter une construction parfaite et des réflexions qui me laissent béate d'admiration. Un autre excellent cru de Marías, même si Un coeur si blanc reste indétrônable à mes yeux.
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Il s'agit là encore d'un roman psychologique avec retournement final. Une fois n'est pas coutume, j'ai préféré certains développements annexes au scénario principal, que j'ai trouvé un poil invraisemblable. Je parle notamment des développements relatifs à son ex-femme, Celia (ou Victoria ?) et ceux qui concernent les nègres littéraires et la personnalité du collègue du personnage principal, Ruiberriz. du reste, on apprécie amplement le style flamboyant de Javier Marias tout au long de l'ouvrage.
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Un livre étonnant, à tous points de vue. D'abord, cette histoire d'un rendez-vous amoureux et adultère qui commence aux premières pages et se termine de la manière la plus inattendue possible: par la mort de la femme, presque inconnue, au moment où le couple en était aux préliminaires, et puis, de longues, fortes et belles pages où la réflexion se rammasse autour du thème de mort, coincidences, incidences des actes qui se mettent à prendre une envergure immense, face à cette mort inopinée. Faut-il donc avertir le mari?(et du coup, notifier la situation d'infidélité). Que faire avec l'enfant resté seul? Les questions et les actes du protagoniste suivent un rythme qui devient haletant, le lecteur se surprend à se demander comment il peut etre aussi accroché par une situation qui n'en est pas une,à un moment de suspension totale, dans une ville, Madrid en l'occurence, qui n'est que nuit et incertitude.
Après les longs étirements de la pensée, de nouveau, à la fin du roman, des révélations, retournements et surprises qui jettent une nouvelle lumière sur ce que l'on avait vu se dérouler sous nos yeux auparavant. Une note morale, presque un apprentissage.

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J'ai choisi ce livre chez Emmaus la fois dernière après avoir lu la quatrième de couverture, sans rien connaître de l'auteur. Il est important que c'est un livre littéraire à l'écriture serrée qui nécessite une lecture extrêmement concentrée. le tout soutient une histoire qui fascine et épouvante…qui suscite énormément de questions. Et à la fin certaines réponses mais pas toutes. Et nous mêmes qu'aurions nous fait ? Par moments ce livre est hypnotisant et par moments, certaines digressions m'ont véritablement ennuyée voire agacée. Pour autant elles participent d'un envoûtement… je ne peux m'empêcher de faire le lien avec un livre qui reste gravé en moi tellement il est puisant d'Owen Sheers « I saw a man » que j'ai lu en français …
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demain dans la bataille pense à moi est un livre d'un des plus admirables écrivains espagnols(mondiaux,)
Cela vaut ici pour le lecteur, mais aussi et surtout pour le narrateur, Victor Francés. Au hasard d'une rencontre, il se trouve à partager le temps d'une nuit le lit d'une femme mariée et mère de famille.
Enfin, c'est ce qui était prévu, car, comble de malchance, après une soirée ‘en famille' avec sa belle Marta et son tout petit garçon, une fois arrivé dans la chambre, voilà que la dame a un malaise, puis meurt subitement. Victor ne sait pas quoi faire et finit par partir, laissant derrière lui appartement, cadavre et enfant endormi, n'emportant que la trop incriminante cassette du répondeur et une impression d'inachevé dont il ne peut se défaire.
Mais cette soirée ne cessera de le hanter : n'arrivant pas à tourner la page, il va chercher à se renseigner indirectement sur le sort de cette famille et, de fil en aiguille, commencer à lier connaissance avec les proches de la défunte.

Le leit motiv du roman ce magnifique, ce vers de Shakespeare tiré de Richard III:"demain dans la bataille pense à moi et que retombe ton épée émoussée. Désespère et meurs.."
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