Préface, notes et commentaires :
Patrice Pavis
ISBN : 9782253037866
Légèreté apparente et finesse psychologique profonde, on pourrait résumer l'oeuvre théâtrale de
Marivaux à cette formule. Quoi de plus léger en effet, tout au moins au seul coup d'oeil, que l'intrigue de ce "Jeu de l'Amour et du Hasard" ?
Sylvia, jeune fille de bonne famille, est promise en mariage au jeune Dorante, qu'elle ne connaît pas. Mais elle ne tient pas du tout à se marier dans de telles conditions : elle se méfie de ces mariages "arrangés" qui sont pourtant l'usage de son temps. de son côté, mais sans qu'elle le sache, Dorante veut bien l'épouser mais à condition de la connaître un peu auparavant et, pour ce faire, il demande à son père de l'expédier chez son futur beau-père, M. Orgon, en tant que valet de son propre serviteur, Arlequin. le père de Dorante accepte mais prend la précaution de prévenir en cachette celui de Sylvia, lequel, à son tour, en entretient son fils, Mario.
Le plus amusant, c'est que Sylvia, ignorante du plan conçu par Dorante, réclame en quelque sorte la réciproque à son père. Oui, elle acceptera de rencontrer Dorante mais à une seule condition : elle se fera passer pour sa soubrette, Lisette, qui, elle, tiendra son rôle.
On ne peut pas mélanger plus les masques, tâche en laquelle
Marivaux est passé maître et qui lui a permis, sans doute aucun, de tenir, sous le sceau de l'amusement et du jeu, voire de la cocasserie, un discours en filigrane qui nous semble bien plus en prise avec notre propre époque qu'avec le XVIIIème siècle. Car que demandent et Dorante et Sylvia ? D'être aimés pour ce qu'ils sont vraiment, sans qu'interviennent en l'affaire les convenances du statut social. Ils n'en seront peut-être pas plus heureux pour autant - cela, nous ne le saurons jamais - mais au moins auront-il essayé.
Dans le miroir, la même chose va se passer pour Lisette et Arlequin. On remarquera que tous deux sont évidemment très heureux à l'idée d'épouser et d'être épousés au-dessus de leur classe. Mais, quand tombent les masques, l'un comme l'autre s'aperçoivent que, en fait, ils s'aiment eux aussi pour ce qu'ils sont.
Véritable tourbillon de grâce qu'illuminent des dialogues débordants d'esprit, "
Le Jeu de l'Amour et du Hasard" vaut bien mieux que ce dont il a l'air. Certes,
Marivaux fait appel aux astuces habituelles du théâtre de son temps et cette double coïncidence aurait eu fort peu de chance de se produire dans le monde réel. Mais l'histoire, si ténue qu'elle paraisse, enchante et révèle des personnages bien plus profonds qu'ils ne tiennent à le paraître. Tous se posent la grande et éternelle question de l'entente amoureuse : peut-elle exister ? peut-elle durer ? plus encore, peut-on être réellement heureux en défiant les conventions sociales ?
Si l'on réfléchit un peu, on se dit que
Marivaux se garde bien, en homme avisé, de nous fournir des réponses que lui-même ne connaît pas. Incurable optimiste, il suggère néanmoins que oui : cela se peut. Mais il conserve en lui une pointe de lucidité cynique, que le lecteur plus âgé percevra sans doute plus facilement qu'un être dépourvu de moins d'expérience, et qui redoute que non : cela ne se peut point.
Pour autant, faut-il ne pas essayer ? Faut-il, en somme, ne jamais prendre de risque, ne jamais tenter sa chance ? ...
En bon Verseau que je suis, je vous réponds, avec
Marivaux qui, lui aussi, était Verseau : "Prenez des risques ! Tentez votre chance !" Mais, en bon Verseau aussi, j'ajouterai par précaution ce que, au siècle suivant, devait affirmer en consolation le grand Tennyson : "Mieux vaut avoir aimé en vain que de n'avoir jamais aimé ..." ;o)