Car Brahms fut un échantillon très caractéristique de ce type du « bon musicien » que Mendelsssohn paraît incarner, et dont le menu fretin conservatorial alimente inépuisablement l'Armée du Salut de la musique de Kapellmeister, Ledit « bon musicien » est savant ou, du moins, il le croit, puisqu'il a fait ses classes et passé son bachot de fugue et de contrepoint. Il « connaît bien son métier ». Il connaît aussi ses classiques ; il les vénère et les imite avec l'élégance de la platitude. Il croit les prendre pour modèles parce qu'il copie leurs procédés. De l'examen de ces procédés et surtout de ses devoirs de studieux élève, il a acquis l'art d'écrire correctement dans un style plus ou moins « sévère ». Désormais, il ne changera plus ; il écrira toujours ainsi. Il n'écrira jamais rien « qui ne puisse s'expliquer » selon les règles traditionnelles et leurs exceptions, ou s'autoriser de quelque exemple illustre.
Wagner élabora sa Tétralogie, si j'ose dire, à l'envers. Il en avait bien rédigé, dès l'année 1848, un canevas très développé, — le Mythe des Nibelungen, projet de drame, — qui reproduit assez fidèlement les grandes lignes de l'œuvre définitive, et qui fut publié, en 1871, dans le second volume de l'édition complète de ses écrits; mais il paraît n'avoir songé tout d'abord à en utiliser que l'épilogue. Il tira de celui-ci un poème dramatique, la Mort de Siegfried, qui devint plus tard le Crépuscule des Dieux. Les modifications que Wagner apporta au texte primitif sont essentielles à maint égard ; on retrouve dans la Mort de Siegfried quelques vestiges de la forme ancienne de l'opéra : un chœur de Walkyries à la place de Waltraute, un chœur final au dénouement.
Il faut bien se garder d'oublier que les théories de Wagner ne furent jamais, chez lui, le fruit d'une réflexion préalable. Plaidoyers postiches, elles ont
toujours suivi de près ou accompagné l'élaboration des créations spontanées qu'elles avaient pour but de justifier et — le dissimuler serait oiseux — de glorifier. C'est précisément à l'époque où l'idée de sa Tétralogie avait germé et mûrissait dans son esprit, que Wagner publia les deux manifestes révolutionnaires qui proclamaient sa théorie du drame lyrique.