Si les canards avaient trois pattes, je les laisserais partir indemnes après la lecture de ce "Bal des folles" qui fit tant de bruit à sa sortie.
Je dois passer aux aveux et reconnaître que je ne sais pas où a voulu m'emmener
Victoria Mas dans ce roman qui se lit sans déplaisir et avec un certain intérêt malgré ce qui va venir.
"Un hymne à la liberté pour toutes les femmes que le XIXème siècle a essayé de contraindre en silence". C'est donc le parti pris du roman : prendre la lorgnette par le bout qui montrera le terrible destin des femmes du XIXème.
Alors c'est parti, oublions le rôle prépondérant des femmes qui depuis le XVIIème convient dans leurs salons les personnages le plus illustres dans le but de débattre, de mener réflexion sur les meilleures façons de contribuer au bonheur du genre humain, et intéressons-nous à ce qui se passe entre les murs de l'hôpital de la Salpêtrière. Oublions les femmes fortes, les premières bachelières, les premières médecins, les Daubié, les Durand qui marqueront le combat féministe, et lorgnons les femmes victimes car les grands arbres qui bougent, publient et pensent ne doivent pas cacher la forêt qui vit dans les dortoirs de la Salpêtrière. Là, le célèbre neurologue Charcot (dont la femme, au passage, anime de son influence tous les jeudis soirs un salon réunissant les
Zola,
Maupassant, Lépine et autres Goncourt) mène des expériences parmi lesquelles des séances d'hypnose en public où il tente de faire apparaître et disparaître les symptômes de l'hystérie. Et pour ses travaux il a à disposition une cohorte de cobayes que l'hôpital héberge en son sein : des femmes, des aliénées, que leur famille ont fait interner pour les réduire au silence.
On y rencontre, entre autre, Geneviève, infirmière en chef, qui voue un admiration sans borne à Charcot et qui dans le secret de sa chambre écrit des lettres à sa soeur morte ; Thérèse, ex-prostituée tricoteuse émérite qui a refroidi son souteneur en le poussant dans la Seine ; Louise, jeune fille traumatisée par les viols qu'elle a subi de la part de son oncle ; et Eugénie, demoiselle de bonne famille qui tape la causette avec des morts. Tout le monde va donc très bien à la Salpêtrière.
Mais que nous dit le roman ? Que dénonce-t-il dans cette écriture sans fioriture dont la simplicité frôle le simplisme ? Que montre ce texte à la temporalité chaotique où le passé simple arrive comme des fausses notes au milieu d'une partition au présent ?
Que les séances d'hypnose de Charcot sont des escroqueries pour prouver que les femmes sont toutes des hystériques en puissance ? Evidemment que non, car, même si le roman ne mentionne pas que Charcot sera le premier à affirmer que l'hystérie n'est justement pas l'apanage des femmes comme on le croyait jusqu'à maintenant (mais ce détail ne servirait pas le propos), les séances décrites dans le roman ne font pas clairement état de charlatanisme, on n'y assiste pas à une préparation des cobayes, les femmes n'y sont pas vues comme des comédiennes chargées par le neurologue de jouer les malades… et pourtant, s'il avait fallu dénoncer cela, il suffisait d'évoquer l'école de Nancy qui ne voit dans l'hypnose de Charcot que suggestion et spectacle. Mais non, ici, l'hypnose ne prend que quelques paragraphes, on ne s'y attarde pas, on y voit même l'occasion de décrire des cobayes féminins qui, telles des Loana du XIXème siècle, se soumettent au show par envie de célébrité.
Veut-on donc dénoncer le fait qu'on fasse passer pour folles des femmes qui ne le sont pas, qui n'ont que le défaut de prendre la parole dans un monde d'hommes ? Si le personnage de Louise remplit pleinement sa fonction de victime jusqu'au bout, on peut s'interroger sur le personnage d'Eugénie. Pourquoi choisir une jeune fille qui prétend voir les morts et leur parler ? Alors oui, aujourd'hui, Eugénie ouvrirait sa chaine Youtube pour papoter avec les Tatie Jacquotte du premier croyant venu et ferait le show chez Hanouna en passant pour une gentille illuminée mais là, on est au XIXème, et discuter avec les morts, ça effraie ou ça fascine… puisque Geneviève se laissera convaincre par la demoiselle.
Pour moi, le projet est flou. En 2000, la jeunesse française se dépêchait en discothèque pour aller voir et tâter de la star de télé-réalité, au XIXe, le tout-
Paris se bousculait pour mater de l'hystérique lors d'un bal qui donne son titre à l'oeuvre mais qui se fait longuement attendre. Un bal loin du climax qu'on espère puisqu'en vérité, dans ces "bals des folles", il ne s'y passait rien de bien foufou : aujourd'hui, les stars sont moins stars qu'on l'imagine depuis nos postes de télé, hier, les folles étaient moins folles qu'on l'imaginait depuis l'extérieur des murs de la Salpêtrière.
Ici, la science semble pousser au mal et la croyance et le paranormal devenir les porte-étendards de la condition féminine. Ah vraiment ? Les seuls exemples de femmes réduites au silence qu'on peut trouver au XIXème siècle sont des femmes qui prétendent parler avec les morts ? Pas d'opinions politiques divergentes ? Pas d'envies de révolutions sociétales ? Non ? Eh non, puisque l'auteure semble elle-aussi conquise par la médiumnité de son héroïne.
Je crois qu'on l'aura compris, je n'ai pas été convaincu. le présent du récit se voulait historique, universel, il n'aura été à mes yeux qu'anecdotique. Et ce n'est pas, selon moi, ce roman qui fera avancer la cause féministe entachée ici d'un surnaturel inutile et contreproductif. Quel choix étrange d'avoir accordé à la femme autant de spiritisme et si peu de spiritualisme.