- Rien ne me ferait horreur, Jean, avait-elle répondu.
Je te connais trop bien maintenant pour être rebutée par rien de ce que tu feras.
C'était un délice de sentir ses bras et ses épaules nus sous les larges manches flottantes, sa peau fleurant l'abricot.
Avec elle, je pénétrais dans une troisième dimension qui ne faisait pas partie du premier univers mais du second ..
Il devait y avoir une inspection et il avait taché son uniforme en mélangeant des teintures. Il est venu me demander, en parlant par signes avec un mot par-ci, par-là, si je pouvais le nettoyer pour lui éviter d'être puni.
Moi, monsieur Jean, j'ai pensé à mes deux garçons, André qui était prisonnier et Albert qui étais tué, et je voyais le garçon de leur âge qui était ici, loin de chez lui, et qui me demandait, à moi qui aurait pu être sa mère, de lui ôter la tache de sa tunique. Bien sûr que je l'ai ôtée.
Après il est revenu me remercier et il m'a donné cette photo.
ça m'est bien égal, moi, qu'il soit Allemand ou Japonais ou qu'il soit tombé de la lune.
Il a dû être tué par la suite comme tant d'autres, ils étaient tous nés pour se faire tuer, ces garçons, les nôtres pareil....
Alors vous voyez, quand la guerre vous arrive dans votre village, jusqu'à votre porte, ce n'est plus grandiose comme dans les histoires.
ça devient simplement une excuse pour cracher ses haines personnelles.
- ça arrive à tout le monde, tôt ou tard, dis-je lentement. Le mariage devient une habitude. Tout s'use, c'est inévitable. Ce n'est pas une raison pour se désoler.
Elle tendit les bras, et attiré comme par un aimant, je vins m'agenouiller à côté de son fauteuil et fus aussitôt saisi, écrasé, perdu, dans cette montagne de chair et de lainages, happé comme une mouche dans une énorme toile d'araignée et en même temps fasciné par la ressemblance, par la découverte d'un nouvel aspect de moi-même vieilli, féminin et monstrueux.
Comme je m'écartais pour lui laisser la place, il se retourna et me regarda.
Je le regardais aussi et je m'aperçus, dans un bizarre mélange de surprise, de peur et de malaise, que son visage et sa voix ne m'étaient que trop bien connus.
C'est moi que je regardais.
Le sens véritable de l'histoire m'échappait parce que je n'avais jamais été suffisamment proche du peuple qui l'avait vécue.
Chapitre premier
J'étais arrivé au Mans, affreusement abattu. je ne connaissais que trop cette mélancolie inséparable des derniers jours de vacances, mais j'éprouvais cette fois plus que jamais l'angoisse du temps trop vite enfui, non parce que trop rempli mais parce que je n'y avais rien accompli. les notes prises pour les cours que je devais faire pendant l'automne étaient d'une précision scolaire, dates et faits qu'il ma faudrait habiller par la suite d'un langage susceptible d'éveiller une étincelle d'intérêt dans l'esprit de tous mes élèves.
Chapitre premier
« S’il avait vraiment l’intention de s’en aller en faisant de moi son bouc émissaire, cela prouvait clairement qu’il ne se souciait de personne au château. » (p. 82)
Nous sommes tous des ratés. Le secret de l'existence, c'est de reconnaître ce fait assez tôt et de s'y résigner. Ensuite, ça n'a plus d'importance.