Danseur

La sagesse veut qu'on ne se déplace pas à pas dans l'obscurité.

Je ne lui trouvais rien d'extraordinaire - mal dégrossi, il semblait éreinté, surexcité, animé par un genre de charme dangereux, très tatar.

Idiotie que les sentiments, bien sûr, et je ne sais pas si j'ai dormi cette nuit-là, pourtant je garde en tête une idée très simple - que, malgré les années passées, je suis toujours amoureux d'elle - et, à cet instant, cela ne semblait pas du tout idiot de l'avoir aimé, de continuer, même au fond de ce naufrage qui a été le nôtre.

Un photographe est arrivé dans notre dos et des flashes ont crépité. Rudik a chuchoté que c'était un employé de l'agence Tass, qu'il nous suivrait toute la journée. Il m'a dit "Ne fais pas attention à lui, c'est un âne". J'ai ri. Je retrouvais mon Rudik, mon frère bien-aimé, le vrai Rudik, pas celui qu'ils avaient inventé avec leurs mille mensonges. (p.348)

J'étais étourdie et allègre à l'idée de rentrer chez moi - je retirais déjà les housses des miroirs et des meubles. J'avais même le goût de la poussière dans la bouche. (p.129)

Son regard était intense entre ses paupières serrées. On aurait cru l'aiguille d'un phonographe arrêtée juste avant une explosion de cuivres. (p. 128)

Envoyez-moi les photos, dit Rudi. Si elles ne sont pas bonnes, je les bouffe, je les chie, et je vous les retourne sous enveloppe. (p. 123)

Il marche jusqu'au bord du lit, enlève sa chemise, déboutonne le haut de son pantalon, se dresse nu à la lumière. Il dit au pilote : Ferme les rideaux, laisse la lampe allumée, vérifie que la porte est bien verrouillée. (p. 132)

Trente-trois ans. L'impression constante (jamais avouée) d'être un imposteur. Mais on ne peut incarner l'histoire qu'on a quittée. Ni thé, ni héritage, ni pleurs. Ni pain rassis non plus, imbibé de larmes et de vodka. Prends racine sur les boulevards parisiens dans ta chemise de soie blanche !

...ils se sont détestés immédiatement, ils ont chacun perçu le côté crâne mais ils ont aperçu le doute aussi, ce mélange volatil, de feu et de vide, tous deux se voyant semblables, agaçante similitude, l'un et l'autre ont quitté leurs taudis pour les salons des riches, ils sont la tranche de la pièce de monnaie, peu importe combien de fois on joue à pile ou face, ils seront toujours cette tranche, les riches ne comprennent pas cela, et les pauvres non plus, voilà qui rend palpable leur haine réciproque ...

une dernière pirouette dans l'entrée et il était partit