Quand ma mère m'a offert
Betty de
Tiffany McDaniel, j'ai tout de suite accroché à la petite fille sur la première de couverture. En la voyant, j'ai pensé que ma lecture serait attendrissante, d'une douceur exquise.
Je me trompais.
Jamais je n'aurais cru lire un roman d'apprentissage aussi sombre que celui-ci.
Aussi vrai.
L'enfance de
Betty n'est pas aussi plaisante que l'on croit : née d'un père Cherokee et d'une mère américaine, sa peau métisse a été plus d'une fois l'objet de moqueries racistes.
De la fratrie, elle est la seule qui ressemble trait pour trait à son père ; ses frères et soeurs, quant à eux, ont hérité de la peau laiteuse de leur mère.
Et puis, comble de malchance, elle est née fille dans un monde d'homme. Elle apprendra à ses dépends combien son corps de femme l'expose aux mauvais traitements, à la violence, à la
misogynie et au retrait de son libre arbitre.
Tiffany McDaniel s'est saisi de la trajectoire de vie de
Betty, ainsi que de ses deux autres soeurs, pour montrer que naître femme au début du 20e siècle est un frein à l'épanouissement.
Peu importe le talent et l'ambition, avoir un corps de femme conditionne votre avenir, votre rôle au sein de la société et vos devoirs, dont le premier consiste à procréer.
Comme on le sait, être femme, c'est être privé de liberté, et bien que cette réalité ne soit pas nouvelle, elle n'a jamais été aussi bien décrite que dans
Betty, où l'emprise des hommes sur les femmes s'expriment sous toutes ses formes. Que ce soit sur les vêtements, les violences intra-familiales, les agressions sexuelles, la manipulation psychologique : rien n'est omis.
Avec ce roman, l'inégalité des hommes et des femmes repose sur un système, qui ne donne pas l'opportunité aux femmes de se cultiver, de réaliser leurs rêves sans l'aval d'un homme au préalable. Dans la société occidentale, elles sont souvent reléguées au second plan, ce dont le père de
Betty critique plus d'une fois d'ailleurs, en expliquant à sa fille que ce mode de vie n'est qu'une invention des hommes, qu'il n'est pas le seul qui existe, mais qu'il subsiste au contraire des sociétés où la femme en est le pillier, comme la manière de vivre des Cherokee.
De fait, le portrait de cette Amérique raciste et misogyne est adouci par la présence constante et rassurante du père, qui a élevé tous ses enfants dans le respect de la nature et surtout des femmes. Il a enseigné à ses enfants les mêmes leçons, sans se soucier de ce qu'il sied mieux d'apprendre à une fille et à un garçon.
J'ai adoré contempler ce paysage cerné à la fois par l'obscurité et la lumière. Loin d'être manichéen, le roman met en scène à la fois dès hommes bons et mauvais, dont l'identité s'est forgée à partir de l'hérédité et du cadre dans lequel ils ont évolués dans leur jeunesse, ce qui nous rappelle aussi bien le naturalisme de
Zola que les théories freudiennes sur l'inconscient.
Néanmoins, je tiens à vous avertir : ce roman n'est pas fait pour tout le monde, car l'autrice y décrit une réalité cruelle du monde, dont la violence peut choquer les âmes sensibles, si bien que je me garderai de le conseiller à tous et toutes, quand bien même il demeure terriblement juste et nécessaire.
Enfin, au-delà des thématiques sensibles qui sont développées, le roman ne manque pas de poésie, car à travers l'obscurité surgit la lumière, portée par la figure du père, dont la bienveillance et l'amour qu'il véhicule à ses enfants sont salutaires.
Par ailleurs, j'ai beaucoup aimé découvrir dans ce roman la manière de vivre des Cherokee, leurs vices et coutumes, et leur vision du monde, dont l'autrice a su parfaitement rendre grâce.
En revanche, si
Betty est un personnage adorable, je regrette cependant que son âge ne soit pas adéquation avec sa manière d'agir, en particulier lors de ses prises de paroles qui manquent de crédibilité. Ceci est accentué par le narrateur qui ponctue le récit d'analyses sociologiques et de commentaires qu'une enfant n'est pas en mesure d'exprimer à un âge aussi jeune. Si ses commentaires se révèlent pertinents et utiles, je reste convaincue que le récit aurait gagné en émotion et en intensité si le narrateur externe avait laissé l'enfant penser, plutôt que d'écraser son point de vue.