C'est un bon petit livre carré de la collection des "Monographies Seghers - Cinéma d'aujourd'hui" avec son papier extraordinairement jauni, riche de ses 174 pages illustrées N.& B. ... Aussi
je me souviens : je créchais alors à Paris et fréquentais les "librairies de cinéma" - et tous les cinémas, bien sûr... puisque venant de découvrir "LE" cinéma : bientôt, TOUT le cinéma ? Plus vaste encore que la goutte d'eau gigantesque de l'affiche du stupéfiant "La Clepsydre" ["Sanatorium pod Klepsydrą", 1973] de Wojciech Jerzy HAS et ses labyrinthes temporels inspirés des fictions nostalgiques du secret météore
Bruno SCHULZ (1892-1942). Ou comme ces vertiges de "L'Autre" ["The Other", 1972] de Robert MULLIGAN, avec son été gémellaire & psychotique dans le Connecticut - inspiré du tout premier roman de l'ancien acteur
Thomas TRYON (1926-1991)...
Enfin... "Rashomon" [1950], "Vivre" [1952] puis "Les Sept Samouraïs" [1954] aux noirs-et-blancs somptueux du grand maître 黒澤 明, KUROSAWA Akira [prénom paraissant près le patronyme, à la Japonaise]... Dieu, quelle palette de gris, quelles images stupéfiantes de cieux blancs ! "L'Empereur" du cinéma nippon (comme le surnommaient alors les journalistes) venait d'être sauvé par son domestique en 1971, retrouvé dans sa baignoire après s'être tailladé le cou et les poignets, il venait d'achever son "Dodes'kaden" [どですかでん, "Dodesukaden", 1970], histoire de lumpenproletariat l'ayant ramené aux rivages des terrains vagues et autres mares bourbeuses de "L'ange ivre" du Tokyo dévasté de l'après-guerre...
J'ignorais alors combien Kurosawa avalait religieusement les romans sombres de
Georges SIMENON (1903-1989), déjà pratiquement tous traduits en japonais... et combien il adulait aussi l'univers psychologiquement terrifiant de
Fiodor DOSTOIEVSKI (1821-1881), frère d'âme du Liégeois universel. Il adapta d'ailleurs "L'idiot" [白痴, "Hakuchi", 1951] servi par l'actrice HARA Setsuko des méditatifs films de OZU Yasujiro (小津 安二郎, 1903-1963) et l'acteur des superbes "Nuages flottants" de NARUSE Mikio (成瀬 巳喜男, 1905-1969) : le taciturne MORI Mazayuki...
Il révéla au monde l'intériorité sereine et la belle pâte du visage de SHIMURA Takashi, le toubib alcoolique de "L'ange ivre" [(酔いどれ天使, "Yoidore tenshi", 1948], le policier scrupuleux de "Chiens enragés" [野良犬, "Nora-inu", 1949], le bucheron de "Rashomon" [羅生門, "Rashōmon", 1950], le vieux fonctionnaire cancéreux de "Vivre" [生きる, "Ikiru",1952] surnommé "la momie" par ses collègues de travail, le maître-samouraï de "Les Sept Samourais" [七人の侍, "Shichinin no samurai",1954] - type universel de "l'homme au coeur d'or"...
Ah, et ces gesticulations colériques et l'ironie cinglante de MIFUNE Toshiro (acteur décrit comme "indomptable" par son ami Kurosawa) découvertes dans les cinq films précédents, qui l'amènera aux remarquables "Yojimbo/Le Garde du Corps" [用心棒, "Yōjinbō", 1961] et "Sanjuro" [椿三十郎, "Tsubaki Sanjūrō",1962] - le tout premier devenant le modèle d'un certain
Sergio LEONE (1929-1989) pour son facétieux, novateur et très fauché "Pour une poignée de dollars" ["Per un pugno di dollari", 1964] : le bouillonnant MIFUNE Toshiro se métamorphosa donc en taciturne
Clint EASTWOOD, alors acteur secondaire sous la magie du soleil d'Almería. Ce grand cycle Kurosawa/Mifune s'achèvera avec "Barberousse" [赤ひげ, "Akahige", 1965] : fresque historique célébrant les tribulations d'un vieux docteur "au coeur d'or"... mais évidemment toujours très-très colérique ! :-)
Dieu, comment pouvais-je m'apprêter à oublier le cinémascope du somptueux "jidaï-geki" - film traitant du Moyen Age japonais - intitulé "Le Château de l'araignée" [蜘蛛巣城, Kumonosu-jō, 1957], tourné en N. & B. sur les pentes du mont Fuji (avec son brouillard naturel aidé des machines-à-brouillard des machinistes), inspiré de la pièce "Macbeth" du très universel dramaturge britannique
William SHAKESPEARE (1564-1616) ? Kurosawa reviendra plus tard à cet esprit shakespearien avec son "Kagemusha, l'Ombre du guerrier" [影武者, "Kagemusha", 1980] puis son grandiose "Ran"[乱, "Ran", 1985], infiniment plus maîtrisé que le précédent et quasi-testamentaire...
La minutie, la maîtrise du cadre, les sinuosités programmées d'une caméra acrobatique, la direction d'acteurs irréprochable : soit les mille qualités intrinsèques du "Cinématographe" de KUROSAWA Akira (1910-1998).
Son exigence perfectionniste suivra celles de
Charlie CHAPLIN (1889-1977) et
Robert BRESSON (1901-1999) ... accompagnant celle du Bengali
Satyajit RAY / সত্যজিত রায় (1921-1992), son contemporain... précédant ou annonçant celles du géant
Stanley KUBRICK (1928-1999), du "tout premier" Terrence MALICK nè en 1943 et dont la génie s'éteignit pour nous en 2005 [Par charité, n'évoquerai point ici le "second" T.M., postérieur à "The New World"], du New-Yorkais James GRAY (né en 1969), du Turc Nuri Bilge CEYLAN (« Nouri Bilguè Djèïlân », né en 1959) et du Russe Andrei ZVIAGUINTSEV (Андрей Петрович Звягинцев, né en 1964) .
KUROSAWA Akira, âme profondément japonaise ET universelle... torturée par l'humanisme de son fameux : "Pourquoi les hommes ne peuvent-ils être plus heureux ensemble ?"
Wojciech Jerzy HAS (1925-2000) n'avait pas encore tourné en 1982 sa somptueuse, crépusculaire & provinciale adaptation "polonaise" de "Une histoire banale" de ce bon docteur
Anton TCHEKHOV / Антон Павлович Чехов (1860-1904)... ni Robert MULLIGAN (1925-2008) n'avait encore révélé au monde le talent de la jeune
Reese Witherspoon dans son "The Man in the Moon" ("Un été en Louisiane") de 1991... Mais tout ceci est une autre histoire... ou d'autres histoires, encore...
[END OF THE STORY]