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463 pages
CHARPENTIER & FASQUELLE (01/06/1893)
5/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
On se souvient principalement d'Oscar Méténier - et encore pas tout le monde - comme le fondateur en 1896 du Théâtre du Grand Guignol, qui pendant 15 ans présenta de nombreuses pièces sanglantes ou sordides, principalement écrites par André de Lorde, Maurice Level ou Oscar Méténier soi-même. Pourtant, la personnalité de Méténier ne saurait se résumer à ce genre éphémère : ancien policier, issu d'une lignée de policiers, Oscar Méténier fut au début de sa carrière un fervent naturaliste, partisan d'un réalisme cruel, comme chez les frères Goncourt, auxquels il voue une admiration particulière. ("« Madame La Boule » est dédicacé à Edmond de Goncourt, et reprend une thématique qui n'est pas sans évoquer « La Fille Élisa »).
Néanmoins, il est à peu près certain que son admiration pour les naturalistes fut très modérément réciproque, même s'il fréquenta Edmond.de.Goncourt et adapta plusieurs de ses romans en pièces de théâtre. Edmond.de.Goncourt ne parle d'Oscar Méténier dans son journal que comme un homme de théâtre et un agréable pourvoyeur d'anecdotes. Pourtant, la principale discipline d'Oscar Méténier, c'est en fait le récit naturaliste : il laisse pas loin d'une quarantaine de romans, la plupart fort volumineux pour l'époque, presque tous consacrés aux bas-fonds des villes, et principalement aux prostituées, dont il détaille par le menu les existences misérables et les déviations sexuelles de leurs clients. Cependant là où les frères Goncourt se sont penchés sur les bas-fonds de toute la hauteur cynique et condescendante de leur rang aristocratique, Oscar Méténier se met véritablement "dans la tête" de ses personnages, dont les aventures scandaleuses et les intrigues amorales sont décrites "de l'intérieur", en adoptant le regard de personnages vivant en marge, ayant leur propre morale, leurs propres valeurs, leurs propres conceptions de ce qu'il est "normal" de faire.
En ce sens, « Madame La Boule » est l'une de ses oeuvres les plus emblématiques, et qui fut aussi la seule à valoir à son auteur une condamnation judiciaire pour outrage aux bonnes moeurs. On peut juger l'époque sévère, mais il faut bien reconnaître que plus d'un siècle après sa parution en 1890, « Madame La Boule » est un roman d'une cruauté, d'une violence et d'une lubricité telles que même en ce XXIème siècle, sa publication serait excessivement difficile. Oscar Méténier nous entraîne en effet dans un roman si crû et si brutal que même les esprits les plus blasés et les plus dessalés ne peuvent en sortir que profondément choqués. Je crois qu'on a rarement été aussi loin en littérature avec une telle complaisance sordide, mise au service de la vérité absolue, avec en plus un incroyable talent narratif sacrifiant tout à cette expression de la vérité des faits divers les plus épouvantables, faisant le portrait odieux - mais sans doute bien plus réel que les images d'Épinal que l'on a préféré en garder - du Paris nocturne, entre Pigalle et Montmartre. « Madame La Boule » est une plongée immersive et réaliste dans un sous-prolétariat hideux, désespéré, amoral, sanguinaire et obsédé par l'argent. Nous sommes loin ici des peintures d'Henri de Toulouse-Lautrec, et pourtant il s'agit bien du même univers, mais dans toute la crudité de sa misère, une misère qu'Oscar Méténier, fidèle au dogme naturaliste, dissèque avec la précision d'un chirurgien et nous jette au visage comme un organe à peine amputé et encore palpitant, et presque agonisant.
Pourtant, toute la force littéraire de ce roman, c'est de ne pas être encore du Grand Guignol : les traits ne sont pas forcés, ils ne sont douloureux que par leur exactitude rigoureuse, car à aucun moment, Oscar. Méténier ne nous présente un roman dans les règles de l'art. Son expérience d'homme de théâtre est ici fort précieuse. Nous lisons moins une histoire que nous ne la voyons défiler devant nos yeux. Il y a là une sensation d'évènements en temps réel, que l'on ne retrouvera guère que dans les enquêtes policières. Cela confère d'ailleurs à ce roman une surprenante modernité narrative, que renforcent encore les très longs dialogues qui parsèment le récit, et qui permettent aux personnages de se présenter eux-mêmes comme ils le feraient dans une pièce de théâtre ou un film.
« Madame La Boule », c'est en fait le bref et tragique destin de Jeanne Rousselet, petite fille vivant dans un milieu ouvrier misérable à Paris dans les années 1880, quartier de la Chapelle. Violée par son père dès l'âge de 12 ans, elle se réfugie chez un gros garçon à la mauvaise réputation, qui va finir par la mettre sur le trottoir. Suite à la rencontre opportune d'un chercheur de talent qui se fait appeler "Mon Oncle", Jeanne va devenir une des cocottes les plus mondaines, les plus perverses et les plus enviées de Paris, jusqu'à ce que sa voix mélodieuse et canaille fasse d'elle une célèbre chanteuse de cabaret. Hélas, son succès avivant bien des jalousies, un jour, son passé ressurgira dans la presse et forcée de renoncer à la gloire, elle cherchera à se reconvertir aux côtés d'un jeune homme très épris d'elle qu'elle avait eu le tort de négliger. Mais ce bonheur-là aussi lui sera cruellement ôté...
Malgré tous ses défauts, sa fourberie, sa rouerie, son inconstance, il est bien difficile de ne pas tomber amoureux de Jeanne Rousselet au fil de ces pages scandaleuses, tant elle est la figure étonnamment candide d'un éternel féminin balloté par la misère et la corruption. Son destin à la fois tragique et superbe, qu'elle traverse comme dans un rêve, reste encore, plus d'un siècle plus tard, d'un incroyable réalisme et d'une grande modernité littéraire. « Madame La Boule » est aussi un portrait grinçant du Pigalle et du Montmartre d'une certaine époque, dont on aime ordinairement à garder un souvenir romantique et aseptisé. Ces deux quartiers nous apparaissent ici dans toute l'âpreté froide d'un milieu noctambule obnubilé par l'argent, le profit, les escroqueries et même – déjà - les accointances avec la pègre. On est surpris de lire qu'en 1890, un cabaret axait déjà sa programmation sur des ciblages de publics, en recourant à des opérations d'affichage censés "lancer" un artiste, avec une expérience minutieuse de ce qui marche et de ce qui ne marche pas. On est ébahi de découvrir une prostitution, alors largement tolérée, qui n'avait rien d'arbitraire et de chaotique, qui était même une industrie du sexe encore plus méthodique que celle d'aujourd'hui.
« Madame La Boule » est une immersion en apnée dans les bas-fonds les plus laids de la Belle-Époque, et ce qui est bouleversant, c'est à quel point, au sein de cette époque dont les goûts artistiques et les mentalités paraissent figés dans le temps, cet envers du décor, cette peinture du vice et de la misère, est totalement intemporel. Il nous parle, il nous est familier, bien des éléments que l'on y croise existent encore aujourd'hui : la prostitution, les cabarets, les bagarres qui dégénèrent, le culte du tatouage, les rêves de stars, les protecteurs qui les financent, les viols, l'inceste, les violences conjugales, l'alcoolisme… Tout ce qui fait la modernité, l'actualité de ce roman, confère un caractère éprouvant à ce récit, d'autant plus à une époque comme celle d'aujourd'hui qui prétend lutter contre tout cela. Jeanne Rousselet elle-même ne peut échapper à son milieu, de par ce tatouage qui la lie à son bourreau et qui la flétrit bien plus que ses activités de prostituée. La misère impose son sceau à ces créatures. Elles peuvent s'échapper un temps, mais pas pour toujours. Il est vrai que mis à part le personnage de Louis Dupré, ouvrier modèle, amant doux et soumis, empreint de sentiments romantiques et de mansuétude, tous les nombreux personnages que Jeanne croise sont des êtres corrompus, vicieux, manipulateurs, experts en duplicités et en trahisons. Il n'y a pas de morale dans « Madame La Boule » car il n'y a pas de morale là où il n'y a pas d'argent. La morale n'a rien à y faire, et tout le monde oublie jusqu'à son existence. C'est le constat amer de l'écrivain, il ne nous donne foi en Jeanne que pour mieux nous la montrer échouant dans tout ce qu'elle entreprend pour fuir sa condition, et malgré cette bonne humeur et cet optimisme débordants qui ne la quittent jamais. Jeanne est vouée au malheur, comme toutes ses semblables. Oscar Méténier ne nous demande ni de la conspuer, ni de la pleurer – et pourtant, malgré tout, on la pleure. C'est là tout le génie de l'écrivain fidèle au dogme naturaliste. Il ne juge pas, il montre dans toute la précision du détail. Et quand la dernière page du livre se referme, la vérité se fait dans nos coeurs, d'une manière juste et sincère qu'aucun pamphlet, aucun discours, aucun précepte ne saurait égaler. Jeanne Rousselet est inoubliable, « Madame La Boule » l'est tout autant, mais le lecteur doit être averti qu'une telle expérience littéraire confine émotionnellement au traumatisme, ou plutôt à une succession interminable de traumatismes. C'est un roman sublime, mais c'est un roman qui vous jettera par terre, le nez dans la boue, et où toutes les convictions personnelles sont malmenées. Âmes sensibles s'abstenir…
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