Pour qui s'était habitué à la langue et la poésie d'une Saison des ombres,
Rouge Impératrice est déroutant.
Roman "afrofuturiste", qui pourrait être à la littérature ce que Black Panther a été au cinéma ; un essai, une tentative, un acte qui se veut fort...mais qui laisse sur sa faim. Et pose plus de questions qu'il n'en résout.
Certes la langue est belle, écrite dans un "Fulasi" flamboyant où les emprunts aux langues africaines n'ont pas besoin d'être traduits et les mots, à force de répétition, se comprennent. Ce n'est d'ailleurs qu'à la page 638 de l'édition poche que l'on découvre le glossaire.
Ce 22e siècle finissant sur Katiopa que nous dépeint Leonara
Miano, est un monde séduisant par certain côtés : achèvement d'une longue décolonisation des esprits et des institutions suite à 2 révolutions, appui sur les "valeurs africaines" (comprendre anti-individualistes et animistes) pour retourner le paradigme économique, devenu anticapitaliste et ayant su préserver l'environnement (généralisation des transports en commun, absence de voiture, débetonnisation des littoraux, etc.) et se débarrasser en partie des monothéismes religieux...
La kitenta (capitale) du continent est nommée Mbanza, que l'on situerait volontiers du côté de Mbanza-Kongo dans l'actuel Angola, ancienne capitale du Royaume Kongo et berceau civilisationnel et linguistique "bantou". Des traditions ont été empruntées à chaque région pour construire un système politique unique.
Mais ce 22e siècle est aussi une vision d'horreur : un monde essentialisé (katiopien / sinistré / ressortissant de Bharat...) que l'on dirait réduit à des clichés raciaux ayant cours à la fin du XIXe siècle. Ce qui frappe dans ce roman, c'est l'absence de prise en compte du cosmopolitisme des fin de 20e et début de 21e siècles. de l'état des sociétés modernes pour aboutir aux changements décrits. Une ellipse historique regrettable compte tenu de la densité du roman.
Tout au long du roman, le monde décrit avec emphase est celui d'une Afrique sortie de l'esclavage, de la colonisation, de l'apartheid et d'une mise sous tutelle néo- ou post-coloniale, prenant sa revanche historique sur l'Occident, et en particulier l'Europe. Idée géniale. Mais les diasporas n'ont droit de citer que comme 5e colonne retournée à ses origines premières, le métissage n'existe pas (du moins pendant 500 pages), pas plus que les diasporas européennes en Afrique...
Les Africains-Katiopiens décrits dans le roman présentent aussi des traits figés : Ethiopie peu fiable, BaSotho irrédentistes, Afrique de l'ouest ayant exercé une influence historique (culture Nok, langues) mais très peu présente (tout comme l'Afrique du Nord à l'exception de l'Egypte), pouvoir plutôt masculin, hormis le pouvoir spirituel et l'influence des épouses "de l'ombre"...
Le "Sinistre" originel est abordé par touches, suggestives, sans que le lecteur ne comprenne toujours l'enchaînement des circonstances qui ont poussé certains Européens (en l'occurence des Fulasi à particules, que l'on dirait sortis de vieilles familles vendéennes...) à s'installer dans certains lieux du Continent (ils ne disposent d'ailleurs de Consulats / Ambassade qu'au Nord de celui-ci).
Autant d'éléments qui laissent mal à l'aise...
L'auteur, tout en signant un roman haletant et intelligent, n'a-t-elle finalement pas su aller au bout de sa logique et transmettre le type de relations réellement souhaitées entre l'Afrique de demain et le reste du monde, hormis une volonté de puissance et de respect ? L'identité exclusive et mantra des principaux protagonistes (Katiopa, tu l'aimes ou tu la quittes !) est loin des identités rhizomes glissantiennes ou même d'un afropolitanisme Mbembien. Elle reste (trop) proche des leitmotivs militants panafricanistes.
Quoi qu'il en soit le but est atteint ; le roman ne laisse pas indifférent.