Proies est avant tout un avertissement : lors de randonnées dans les forêts québécoises, mieux vaut ne pas sortir des sentiers balisés pour suivre des chemins de traverse.
Andrée A. Michaud sort pourtant des sentiers battus de la littérature noire pour tracer un profond sillon personnel, et imprimer sa marque de fabrique à nulle autre comparable. Depuis
Bondrée qui lors de sa sortie en France a impressionné la plupart de ses lecteurs, elle injecte dans une nature exubérante et luxuriante digne d'un paradis terrestre, le bruit et la fureur, la terreur.
Proies n'échappe pas à ce schéma. Dans une forêt magique où vit tout ce que la nature offre de plus beau – fruits, fleurs, arbres géants et animaux à poils ou à plumes -, au milieu de laquelle coule une rivière paisible qui invite à la baignade et à la méditation, l'auteure place trois adolescents en quête d'émancipation, venus camper quelques jours et nuits. Parmi eux, deux gamines jolies comme des coeurs, de celles dont les prédateurs disent qu'elles les aguichent avec leurs longues jambes et bras bronzés et leurs simagrées de poupées stupides.
Dès le départ, le ton est donné. Andrée A. (mais que signifie ce A. ?) Michaud place son roman dans la lignée de Délivrance, film mythique réalisé par
John Boorman en 1972. Les lecteurs qui comme moi l'ont vu, revu et adoré, savent d'emblée que les gentils ados vont être chassés par un ou des êtres frustes, chasseurs braveurs de lois et d'interdits, avec qui aucune communication n'est envisageable sauf si l'on sait jouer du banjo. Que l'auteure évoque également des contes comme le petit poucet ou Hansel et Gretel a quelque peu atténué mon enthousiasme, un peu comme si je connaissais l'issue du roman avant de l'avoir lu. Pour être complète, j'ajoute que l'inclusion des dialogues dans le récit sans signe distinctif, le rend roboratif, et que l'utilisation des expressions québécoises, qui généralement font couleur locale, francophonie vivace ou même folklore sympathique, alourdissent ici l'histoire, car trop nombreuses. Malgré ces minimes critiques,
Proies reste un grand roman, dans lequel Andrée A. (mais que signifie ce A. ?) Michaud déploie un style de toute beauté, dans un environnement sylvestre de toute beauté. Elle sait faire monter la pression, faire partager au lecteur la peur viscérale de l'incompréhensible qui gagne les ados, les font freaker et envisager tous les scenarios leur faisant regretter la chaleur de leur foyer familial. Elle décrit avec un soin méticuleux leur apprentissage de l'effroi et leur expérience de tous les subterfuges de la mort. Une digestion un peu lourde de ce roman compact me retient cependant d'attribuer une cinquième étoile à
Proies.
"Les drames s'amorcent ainsi, dans l'imprécise lourdeur d'instants dont nous ne saisissons l'importance qu'après coup, quand il n'y a plus rien à faire."