Le Jihadisme français : Quartiers, Syrie, prisons

Peu familier de la querelle entre Olivier Roy et Gilles Kepel (dont Hugo Micheron est un disciple), je reste néanmoins fasciné par ce que raconte le Jihadisme français. de la naissance du premier phalanstère à Artigat à cet espace semi-ouvert que semble être devenu la prison française, en passant par les différentes vagues de hijra en Syrie, l'auteur nous offre une mine d'informations passionnantes sur le parcours et les motivations de nombreux jihadistes hexagonaux.

De là à trancher en faveur d'une radicalisation de l'Islam, d'un équilibre Tabligh - Frères musulmans vers un mouvement salafo-frériste radical, il y a un pas que Hugo Micheron franchit bien volontier sans pour autant fournir beaucoup de pistes sur la manière de le combattre. Cela étant, le niveau actuel déplorable du débat public, qui ruisselle sur les administrations (notamment pénitentiaire) en charge de ce sujet, est probablement la première chose qu'il s'agit de combattre. Une certitude : les jihadistes comprennent bien mieux notre société que la société ne les comprend, et c'est bien ce déséquilibre qu'il s'agit aujourd'hui de faire disparaître.

Quand au débat entre radicalisation de l'islam et islamisation de la radicalité, il est aujourd'hui probablement trop pollué par une guerre d'égos entre ces deux grands penseurs que sont Roy et Kepel.

Il faut absolument lire le livre de Hugo Micheron «Le Jihadisme français» qui brosse une passionnante cartographie dans le temps et l'espace d'une mouvance minoritaire mais très active qui doit etre appréhendée au travers du continuum « quartiers, Syrie, prisons ».

L'analyse microscopique et microcosmique des dynamiques à l'oeuvre au local, la mise en visibilité des vagues successives vers la Syrie, l'exposé novateur des enjeux liés à la gestion carcérale des revenants et la réflexion sur la reconfiguration idéologique en cours frappent.

La maîtrise de la langue arabe, la mobilisation des outils des sciences sociales, la connaissance de l'islam (et de ses dévoiements radicaux) et une pratique assidue du terrain (80 entretiens avec des jihadistes actuellement en prison) font du livre un objet unique.

« L'esprit est toujours en retard sur le monde » écrivait Camus. Avec ce type de livre, refusant les idées préconçues et les explications univoques, le retard est (en passe d'être) comblé !

La lucidité de ce livre est étonnante et grâce à des investigations au plus près des acteurs, la pertinence et la clarté de l'analyse amènent 2 questions :

Pourquoi la vision des décideurs en matière de terrorisme est encore aussi loin de la vérité ?

À quoi servent tous les services spécialisés depuis l'affaire Merah et même avant, s'ils n'ont pas été capables de faire les bonnes analyses, et commettre autant d'erreurs d'appréciation ?

On peut évidemment rétorquer que l'analyse est plus facile après que pendant, mais on a pu entendre beaucoup d'âneries (sur le rôles des femmes...), de visions simplificatrices (autour de la notion de radicalisation...). Par exemple c'est seulement aujourd'hui que Macron met la pression sur la scolarisation des familles qui basculent vers la radicalisation, alors que le problème est connu depuis 2012...
L'auteur a le sens de l'image, sait raconter une histoire, émaille son propos de citations tirées d'interviews, et le livre se lit très facilement. On en sort, non pas en ayant tout compris, mais en gardant à l'idée qu'il est nécessaire sur ce sujet de ne pas se contenter des explications des politiques relayées par les medias grand public.
On en retient aussi l'idée que le combat n'est pas terminé, et que l'on aura besoin de tous les points de vue, toutes les intelligences, pour éviter un maximum de nouveaux drames, et le livre montre bien la difficulté de l'exercice dans un dernière partie assez floue...

Mon avis rapide ;

Hugo Micheron est un jeune chercheur et enseignant en sciences politiques . En 2019, il présente, sous la direction de Gilles Kepel, sa thèse intitulée "Quartiers, prisons, Syrie-Irak, comment se structure et s'organise le jihadisme en France ?" , thèse qui donnera lieu à la publication de ce présent livre en janvier 2020 aux Editions Gallimard.

Dans le cadre de ses travaux de recherche, Hugo Micheron a interrogé près de 80 jihadistes , détenus en France , étant partis en Syrie ou ayant eu des velléités de départ, ainsi que des membres de leur entourage et réunit ainsi un corpus lui permettant d'avoir un panorama à la fois historique et idéologique du jihadisme français.

Je trouve que l'une des grandes forces de ce livre est son aspect pédagogique, de façon chronologique et en prenant l'exemple de Toulouse , ville de Mohamed Merah, et de sa région, Hugo Micheron nous raconte comment le jihadisme a commencé à se structurer dans certains quartiers sous forme d'enclave, en lien avec la phalanstère d'Artigat en Ariège, lieu de résidence d'Olivier Corel (connu sous le nom d''Emir Blanc) ,et ce depuis le fin des années 90's . L'auteur met au passage à mal, comme l'avaient déjà fait avant lui Gilles Kepel ou Alain Bauer, la théorie du "loup solitaire" qui a prévalu dans les médias (et parmi les politiques) après les assassinats de Merah en mars 2012.

Dans la seconde partie du livre , l'auteur nous parle des départs en Syrie, des motivations de ceux (et celles) qui ont rejoint le Châm et surtout de la situation sur place extrêmement instable et complexe car basée sur des rapports de force entre différents groupes djihadistes .

La troisième partie sur les prisons est particulièrement édifiante et à mon sens novatrice. Et peut être est-ce là l'apport le plus significatif de ce livre . Depuis les années 1970 et les travaux du philosophe Michel Foucault , dont l'influence dépasse de loin les frontières de l'Hexagone, la prison est vue comme un espace clos, hermétique. L'intérieur versus l'extérieur . Et les politiques carcérales sont établies à l'aune de ce prisme foulcadien. Or , et ce qui ressort des multiples entretiens in situ effectués par l'auteur, les doctrines salafo-jihadistes s'établissent en prison et trouvent leur expressions dans et surtout à extérieur de ses murs alors que les doctrinaires sont toujours en son sein.

Bref un livre passionnant, très pédagogique ,documenté et d'une lecture aisée.
Incontournable

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