Ce tome comprend les épisodes 1 à 5 d'une nouvelle série débutée en 2009. Il s'agit d'une série complète en 3 tomes : (1) celui-ci, (2) Cassandra Complex et (3) Medea's luck.
L'Olympia est une boîte à striptease située dans Greek Street à Londres. Parmi les danseuses, Chantel (une sublime femme noire) se fait peloter par un consommateur ; elle le remet rapidement à sa place en lui expliquant que son comportement déplacé est minable et aussi vieux que le monde. Dans un appartement proche, Eddie (Oedipe) effectue une tentative de cambriolage sans rien trouver de valeur. Il finit par s'en aller et lève l'une des stripteaseuses pour la raccompagner chez elle, après avoir descendu plusieurs gorgeons. Ailleurs dans la résidence luxueuse de Lord Menon (Agamemnon) et Lady Esther (Clytemnestre), Sandy (Cassandra) est prise d'une crise de démence pendant laquelle elle a des visions incompréhensibles et fragmentaires de futurs potentiels. Harold Furey (lié aux Érinyes), le propriétaire du club Olympia, négocie avec un concurrent asiatique pour éviter une guerre des gangs. Sur les rives de la Tamise, la police découvre le cadavre atrocement mutilé d'une femme. L'enquête est confiée à l'inspecteur Dedalus qui aperçoit 3 étranges femmes en robe blanche sur le lieu où git le cadavre.
Alan Moore a phagocyté des héros de romans d'aventure du dix-neuvième siècle pour construire la League of Extraordinary Gentlemen.
Bill Willingham a pris comme point de départ les personnages des contes et légendes européens pour développer Fables.
Peter Milligan va piocher du coté des tragédies antiques grecques pour s'en inspirer très librement. Dès le début, le fait que Sandy (l'équivalent de Cassandre) soit présentée comme fille d'Agamemnon et Clytemnestre indique que Milligan a plus l'intention d'utiliser l'esprit de ces tragédies, que de les respecter à la lettre.
La scène d'introduction avec Chantel montre qu'il reprend le dispositif narratif du choeur dans les pièces de théâtre de la Grèce antique. Dans le premier épisode, elle introduit la dimension tragique du récit et sa filiation avec la Grèce antique. Dans les épisodes suivants, elle expose un bref résumé au lecteur, sur un ton pince sans rire très agréable. Par la suite, Milligan n'utilise que ce qui sert son récit dans l'histoire des personnages. En fait, il mélange une histoire de crimes, avec une vengeance et une menace de guerre des gangs, avec des atrocités et des comportements catastrophiques des personnages ballotés par un destin capricieux et cruel. le mélange de polar et de tragédie produit un amalgame homogène qui intensifie l'aspect sordide du polar. Milligan peut dépasser les bornes en termes de comportements déviants, sans paraître grotesque car il s'appuie sur la démesure des tragédies (ah ben si quand même ! Oedipe, il avait fait fort avec sa mère et son père.).
Les 5 épisodes sont illustrés par
Davide Gianfelice qui a également travaillé sur Northlanders 1 et Daredevil reborn. Son style se marie parfaitement avec la noirceur du récit. Il fait partie de ces illustrateurs qui utilisent un encrage massif pour assombrir leurs pages. Il ne dessine pas pour faire joli, mais plutôt pour installer l'ambiance. Les décors retranscrivent bien l'atmosphère de cette rue réelle de Londres, l'ambiance un peu glauque et déprimante du club de striptease. Ils sont assez détaillés et réalistes pour que le lecteur puisse se projeter dans cet endroit du monde. Les dessins portent parfaitement les horreurs de l'histoire. Certaines scènes s'impriment durablement dans l'esprit : Eddie en train de se mutiler, Chantel se faisant les jambes dans sa baignoire, Harold Furey passant à tabac ceux qu'ils suspectent d'avoir défiguré son fils, les apparitions de Médée, les avances de Clytemnestre auprès d'Eddie, etc. Gianfelice sait rendre l'apparence de chaque personnage unique pour faciliter leur reconnaissance. Il insiste parfois sur des poses un peu théâtrales, ou des expressions exagérées. Ce jeu d'acteur un peu outré correspond bien aux situations horribles et aux sentiments exacerbés de ces individus parfois exaltés. Toutefois à la lecture, chaque personnage a une apparence réaliste d'un individu que l'on pourrait croiser au coin de la rue. L'ambiance est renforcée par la mise en couleurs intelligente et nuancée de Particia Mulvihill qui sait ne pas abuser des couleurs sombres. Gianfelice et Mulvihill se complètent pour augmenter l'aspect horrible des mutilations, ou sordides des relations sexuelles.
Milligan s'affranchit sans vergogne de l'exactitude et du respect des histoires de ces personnages antiques, pour ne retenir que les mécanismes de la tragédie afin de renforcer son histoire. Grâce à un illustrateur au diapason, le tout tient la route avec des scènes assez répugnantes et des comportements déviants qui ne laissent pas de marbre parce qu'ils sont amplifiés par les mécanismes du théâtre. Comme souvent, 5 épisodes ne suffisent pas à se faire une idée complète de la série, c'est la raison pour laquelle je n'attribue que 4 étoiles. Il n'est pas possible de déterminer si Milligan saura dépasser les effets chocs, pour établir un commentaire sur la condition humaine aux travers des épreuves des personnages.