"Je suis mort sur le champ de bataille", répondis-je, sans ouvrir les yeux ni remuer la main.
J'étais transporté d'aise à la pensée de mon corps gisant là, tout tordu et affaissé. J'éprouvais une joie inexprimable d'avoir été tué d'un coup de feu et d'être sur le point de mourir
Bien que je ne m'en rendisse pas compte à l'époque, il représentait à mes yeux la révélation d'un certain pouvoir, le premier appel que me lançait une certaine voix étrange et secrète.
- La destinée. C'est votre destinée."
Il répétait cela sur un ton monotone, de cette voix indifférente, timide, caractéristique des vieillards qui craignent d'être pris pour des grands-mères tatillonnes.
Je me mis à genoux dans l’eau. Une lame qui déferlait au même instant se précipita sur moi avec un grondement sauvage, me frappa en pleine poitrine et me me noya presque sous une explosion d'écume, dans un élan auquel je m'abandonnai.
Quand la vague se retira, j'étais lavé de ma souillure. Mes myriades de spermatozoïdes, emportés par le jusant avec les innombrables formes de vie qu'il contenait – micro-organismes, spores d'algues, œufs de poissons – étaient engloutis à jamais dans la mer écumante.
Seule la vanité pousse à braver le danger.
Je me sentis jaloux. Une intolérable jalousie, comparable à celle que doit éprouver une perle de culture à l'endroit d'une perle véritable.
Sonoko semblait plus fragile que jamais. Il y avait depuis toujours, dans son allure, quelque chose d'une héroïne des récits d'autrefois. La grâce qui émane de ces très jeunes filles quand elles sont amoureuses.
Dans une relation de réciprocité telle que l'amour, ce que l'on demande à l'autre, celui-ci l'exige aussitôt de vous en retour; un coeur comme le mien, désireux que l'autre soit inculte, réclamait donc de moi, ne fût-ce que momentanément, une totale "révolte contre la raison".
L'enfance est une scène sur laquelle s'entremêlent l'espace et le temps.
Dès l’enfance, je me suis fait de la vie humaine une conception qui s’apparente à la théorie augustinienne de la prédestination, et je n’en ai jamais dévié d’un pouce. Combien de fois les vaines incertitudes ne m’ont-elles pas tourmenté par le passé, et aujourd’hui encore ? Or, malgré ces doutes, que je considère comme une forme d’attrait pour la chute, mon déterminisme restait inébranlable. Un menu composé de la somme des angoisses de mon existence m’avait été attribué avant même que je ne sois capable de le lire. Il me suffisait de m’asseoir à table, une serviette autour du cou. Et si j’écris à présent un ouvrage aussi singulier, c’est que même cela figurait bel et bien au menu qui, dès l’origine, s’était présenté à moi.